de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

mardi 15 mai 2012

48- Office des défunts



L’Église a déjà été confrontée, au cours de l'Histoire, à des intrusions extérieures au cours d'un office obligeant le prêtre à arrêter la liturgie. Il est arrivé que des prêtres soient tués pendant qu'ils célébraient. Ces derniers jours encore, dans plusieurs pays d’Afrique, des chrétiens sont morts dans des attentats qui visaient leurs églises. Nous avons eu, à Lyon, le cas unique où c'est un prêtre qui a arrêté la liturgie. Ce fait étant exceptionnel par son côté profondément profanateur, il est intéressant d'y revenir et de se pencher sur ses causes.

Sur cette vidéo, nous voyons, derrière le père Nicolas Kakavelakis, un vieux monsieur à l'air prostré. C'est d'autant plus surprenant de le voir ainsi, que c'est le jour de Pâques 2012, fête des fêtes, et victoire de la lumière sur les ténèbres. Ce vieux monsieur est notre chantre, Kostas, qui sait qu'il chante là son dernier office, après plus de 59 ans de services.

Nicolas C. a écrit, sur la page des amis de la communauté grecque de Lyon : Au sortir de la Semaine Sainte, tu as décidé de laisser ta place de Premier Chantre. Ce départ inattendu et ignoré de tous m'a profondément ému. C'est ainsi que tu as quitté tes fonctions, le plus humblement du monde, après avoir mené à bien, d'une voix de maître, toute la Semaine Sainte, sans recevoir aucune distinction, aucune cérémonie, aucun discours prononcé en ton honneur, aucun hommage, aucun remerciement public de la part du Comité de la communauté ni de son président : sans rien recevoir pour le jour de ton départ, toi qui pendant plus de 40 ans as tant donné pour notre église. Tu es parti comme ces héros, qui, après avoir accompli leur mission, s'en vont sans rien demander ni recevoir en retour.

Cet hommage était rendu le mardi 17 avril 2012.

A priori, ceux qui devaient réagir l'on fait par des appels téléphoniques, ou par des commentaires sur la page facebook en question. Le père Nicolas, lui, n'a rien manifesté. Pourtant, le dimanche suivant, ce fut une toute autre histoire...

Le grand-père de Nicolas C. est Eleftherios Sereslis, à qui j'ai consacré un message pour le jour de son enterrement. Dans la tradition orthodoxe, l'âme humaine, après la mort, reste près de son corps durant trois jours. Puis elle passe dans les lieux qu'elle a connus et, le quarantième jour, elle quitte ce qu'elle a connu dans l'attente du jugement dernier, se rapprochant déjà de Dieu lorsqu'elle a été juste.

Cette vision de la mort vient de certaines expériences de spirituels, notamment celles de saint Antoine le Grand, mais s'inspire aussi du modèle laissé par le Christ qui a quitté son corps trois jours, puis qui est resté parmi ses disciples pendant quarante jours avant d'aller vers le Père. C'est cette vision de la mort qui fait que, dans l'orthodoxie, nous faisons une bénédiction sur le corps au moment du décès, un enterrement au troisième jour, et célébrons un office des défunts le quarantième jour de la mort d'une personne, pour prier pour celui qui part vers le Père.

Le dimanche 22 avril était donc l'office des défunts pour le quarantième jour du décès d'Eleftherios Sereslis. Sa veuve a préparé dans la salle paroissiale les collyves qui allaient être bénies à l'occasion de cet office. Les collyves sont un plat traditionnel à base de blé bouilli ; le blé étant l'image du grain qui doit d'abord mourir s'il veut renaître et porter du fruit (Jn, 12, 24). L’Église attribue à saint Théodore le Conscrit, dit aussi Théodore Tyron, l'origine de la préparation des collyves. Saint Théodore Tyron est fêté le 17 février. Le miracle des collyves est fêté le premier samedi du Grand Carême.

Des collyves sont préparées pour nos défunts, mais également pour la fête des grands saints. Ou du moins lorsqu'on célèbre le jour de leur mort. C'est ainsi que l'on va faire des collyves le jour où saint Jean-Baptiste a eu la tête coupée, mais pas celui où il est né. On va célébrer la Mère de Dieu le jour de l'annonciation, le 25 mars, mais on ne fera des collyves pour elle que pour la dormition, le 15 août. Le seul saint pour lequel on ne fait jamais de collyves est le prophète Élie : la Bible nous dit qu'il fut enlevé au ciel vivant, sur un char de feu (2Rois 2, 1-11), donc il n'est pas mort, donc on ne fait pas de collyves pour lui.

Pendant que la veuve d'Eleftherios préparait les collyves, le père Nicolas est arrivé et lui a dit qu'ils devraient parler à la fin de l'office. Elle a répondu qu'il y aurait beaucoup de choses à faire pour recevoir les invités qui allaient venir et que ce ne serait pas le bon moment pour parler.

Plus tard, c'est son petit-fils, Nicolas C., qui avait écrit l'hommage à Kostas sur facebook, qui est allé dans le sanctuaire pour servir l'office, comme il le fait depuis qu'il a cinq ans.  Les conversations reproduites ont été dites en grec ; le texte essaye d'être le plus fidèle possible, mais reste une traduction.
Le père, en lui interdisant l'accès au sanctuaire : " Aujourd'hui, tu ne viendras pas dans le Iero (mot grec pour désigner le sanctuaire) ; tu sais très bien pourquoi. " 
Nicolas : " C'est le discours pour Kostas qui ne t'as pas plu ? " 
Le père : " Tu sais très bien toi-même ".
Nicolas : " Comme tu voudras, mais je dirai le Pistevo (mot grec pour désigner la prière du Je crois en Dieu) ! "
Le père, en reprenant le texte des mains de Nicolas : " Non, tu ne diras plus rien. C'est moi qui commande ici ! "
Nicolas : " De  toute  façon,  tu  peux  garder  le  papier.  Moi,  le  Pistevo,  je  le  connais  par cœur ! "

Puis la liturgie a continué. Nicolas a préparé la table pour la bénédiction, avec sa grand-mère, puis la salle paroissiale pour la réception des invités. Le bruit de l'incident commençait à se répandre dans l'église. 

Le moment du Pistevo arriva. Nicolas alla se mettre devant le sanctuaire, où cette prière est habituellement lue dans notre église. Avec la complicité des autres enfants de chœur, il récupérait le texte de cette prière. 

Nicolas tenait beaucoup à lire cette prière ce jour-là, car c'est son grand-père, pour lequel on allait dire l'office des défunts, qui la lui avait apprise.

Ce fût alors un grand moment surréaliste. Le père a arrêté la liturgie juste avant que Nicolas ne commence à lire, devant les fidèles médusés.
Le père : " Tu ne vas pas dire le Pistevo ! "
Nicolas : " Je vais le dire pour mon grand-père. "
Le père a insisté, mais Nicolas est resté en place. Le père s'est rapproché pour prendre le papier que Nicolas a mis dans son dos. 
Le père : " Si tu dis le Pistevo, je ne ferai pas la bénédiction pour ton grand-père. "
Christos : " Laisse, je vais dire moi le Pistevo. "
Evangelia, venant du chœur en criant : " Tu vas le laisser lire le Pistevo ! "
Le père : " Toi, tu n'as rien à voir, retourne à ta place."
La veuve, en tremblant et s'adressant au père : " Espèce de diable incarné ! "
Puis à son petit-fils : " Laisse, je vais le recadrer. "
Nicolas, qui n'avait aucune envie de partir, s'apprêtait à commencer la lecture. Il a renoncé en voyant l'état dans lequel était sa grand-mère. 

Puis le père a repris la liturgie dans un brouhaha indescriptible. Presque tout le monde était réuni dans le fond de l'église, à consoler la veuve en pleurs. Même Lela, la fille de la consule de Grèce, toujours très attentive à garder des mots mesurés, a dû concéder : Ce prêtre nous fait honte !

Pendant toute cette bataille, la moitié de l'assistance s'est approchée pour soutenir Nicolas et sa grand-mère. L'autre moitié est restée pétrifiée de consternation.

Le moment le plus dur pour la famille fut sans doute de voir l'auteur d'une telle folie dire la prière de bénédiction pour le grand-père. Bénédiction qui fut conclue par une petite homélie dans laquelle il invitait les fidèles qui n'étaient pas contents à quitter cette église. Nous aurons l'occasion  d'y revenir.
 
On me dit parfois que je suis courageux d'oser dénoncer ce que se permet le clergé, dans son indignité. La vérité, c'est que Nicolas a beaucoup plus de courage que moi ; parce que moi, à son âge, je n'aurais pas osé dire un mot, même devant une telle situation d'injustice.

Dans la salle, Christos, précédemment cité, fût le seul soutien du père à avoir le courage d'aller partager l'hospitalité de la famille. Il a ramassé pour les autres..., osant néanmoins affirmer qu'il faut suivre ce que dit un prêtre, même si c'est n'importe quoi. Cette petite phrase sera l'objet du prochain message...

Ce message s'inspire en partie de ce courrier que la veuve a adressé en recommandé AR au métropolite Emmanuel. Nul doute que celui-ci aura à cœur de s'enquérir si le père Nicolas a bien fait payer les 120 euros pour faire la bénédiction.

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