de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 31 janvier 2015

152- Église grecque, exarchat de Moscou part. 4




Le moine Philothée (1465-1542) du monastère Éléazar de Pskov formula pour la première fois la théorie de Moscou Troisième Rome dans une lettre adressée à Vassili III vers 1510-1511. Selon cette lettre, deux Romes étaient déjà tombées, la troisième était debout et il n'y aurait pas de quatrième.

Byzance avait succédé à Rome comme capitale de l'Empire et siège du rayonnement de la chrétienté. Mais Byzance était tombée à son tour et laissait la place à Moscou.
 
En 1967, l'Albanie d'Enver Hodja interdit tous les cultes. Elle inscrit cette interdiction dans la Constitution de 1976 et se proclame premier État athée au monde. La même année,  Ismail Kadaré publie le recueil Koha, ce qui signifie Époque ou Le Temps. Dans ce recueil, il publie le poème L'Albanie et les trois Romes (Shqipëria dhe tri Romat).

Alexandre Zotos, connu comme l'un des premiers traducteurs de Kadaré en français - et accessoirement mon oncle et relecteur de ce blog -, nous livre ici le dixième et dernier mouvement de ce poème, resté inédit en France :

Toi seule, Albanie,
T’es sauvée du piège,
Petite et colossale,
Séculaire dans ta jeunesse.

La prophétie slave
Tu l'as réduite en poussière,
Toi, la contre-les-trois-romes
Toi forte de ta triple liberté.

Petite et colossale,
Séculaire dans ta jeunesse.
Tu n'as donné au monde ni invention
Ni formule chimique.

Tu n'as inventé ni la télévision,
Ni la machine qui broie les chairs,
Tu n’avais de temps pour ces choses-là,
Toi le pétrin d’où lèvent les pains de la liberté.

Et cette liberté tu pétris, pétris encore,
Depuis deux mille ans et plus,
Et n’en gardes la formule
Comme un secret pour toi seule.

Elle n’est affaire,
La liberté, de laboratoire,
Elle se pétrit sur le flanc de chacune
De tes collines, de tes montagnes enneigées.

Là réside sa formule,
Telle que tu la sais depuis le berceau,
Et tel un bouquet rouge,
Tu en fais l’offre au temps présent.

De cette science de la liberté
Tu tires un message nouveau,
Que tu destines au monde entier,
Ô mon aigle, ô Albanie ! 

Comme souvent chez Kadaré, ses proses font écho à certains poèmes, et inversement. Il a abordé ce thème des trois Romes dans son roman Le grand hiver (Tirana, 1977, Paris, éd. Fayard, 1978) dont la version initiale date de 1973. Ariane Eissen, universitaire, s'est longuement arrêtée sur la question dans un article qu'elle a repris dans son essai Visages de Kadaré, qui vient de paraître chez Hermann Éditeurs : " Le grand hiver " s’élève précisément contre ce rôle messianique de la Russie, qui, à l’ère khrouchtchévienne, prend la forme d’une hégémonie au sein des pays du pacte de Varsovie. 

Kadaré, illustrant dans son roman la position d'Enver Hodja, défend l'indépendance et la souveraineté nationale de l'héroïque Albanie, face à la super-puissance révisionniste qu'était l'URSS. Alexandre Zotos analyse ainsi la position de Kadaré : Il invoque (ironiquement) le propos de Philothée pour insinuer l’idée que mutatis mutandis, les communistes russes (athées eux aussi, quoique révisionnistes, il ne peut le contester) reconduisent, à leur manière, tant sur le plan politico-économique des relations d’État à État que sur le plan idéologique des relations de Parti frère à Parti frère, la vieille ambition ecclésiastique et religieuse de la Grande Russie impériale. Je dis ironiquement, car cela revient à assimiler, indirectement, les communistes russes qui se disent tenants du matérialisme dialectique, à des impérialistes aussi dominateurs que leur avatar religieux des siècles passés.


Les choses ont bien changé depuis l'ère de Khrouchtchev. Les bolchéviques voulaient imposer le marxisme, idéologie qui rejetait les croyances en Dieu. Ils toléraient l’Église : tout en la combattant souvent, ils l'utilisaient régulièrement pour tenter d'imposer ce qui pourrait ressembler par bien des aspects à un christianisme sans Dieu. Une vision du monde qui devait s'imposer non par l'amour mais par la force. Aujourd'hui, l’Église est toujours utilisée par le pouvoir russe, mais comme le ferment des valeurs capables d'unir la société et de la transformer pour qu'elle puisse donner ce qu'elle a de meilleur.

La vision négative du concept de troisième Rome que Kadaré exploitait dans son roman en l'appliquant à Khrouchtchev et ses satellites dans leur conflit politico-idéologique avec l'Albanie de Hodja, trouve aujourd'hui un sens nouveau. Celui d'une source d'inspiration pour l'équilibre des peuples entre eux. Et c'est là que prend sens ce que nous avons vu dans les précédents messages : la troisième Rome - Moscou - ne veut pas que le monde s'articule autour d'elle, mais qu'il soit multipolaire, avec des Églises autocéphales vivant en harmonie les unes avec les autres.
 
Ainsi, lors des travaux de préparation au concile panorthodoxe le métropolite Hilarion a exprimé son profond regret quant au fait que les représentants de l’Église orthodoxe des Terres tchèques et de Slovaquie n’aient pas été invités à la session de la commission. Il a exprimé l’espoir du réexamen de cette décision par la partie invitante, sans quoi est impossible la bonne exécution de la décision de la réunion des primats des Églises orthodoxes locales à Istanbul relativement à la prise de toutes les décisions, dans le cours de la préparation du concile panorthodoxe, sur la base du consensus des délégations de toutes les Églises locales autocéphales égales en droit.

L’Église de Rome défendit cette vision durant les premiers siècles du christianisme. Puis, en même temps que Constantinople prenait la place de Rome, c'est Constantinople qui se faisait le défenseur d'un monde uni non par une hiérarchie, mais par une communion de foi. Et aujourd'hui que Constantinople perd les dernières miettes de son rayonnement politique, c'est Moscou qui est devenue le flambeau de ces idées portées depuis l'origine du christianisme.

Il est regrettable que les Églises aient tant de mal à accepter la perte de leur pouvoir temporel, qu'elles en viennent à renier les valeurs qu'elles défendaient auparavant en croyant que leur existence est liée à ce pouvoir. Non. Leur existence est liée uniquement aux valeurs de l’Évangile qu'elles se doivent, avec ou sans pouvoir temporel, de garder vivantes.


Les messages précédents ont permis d'appréhender la manière dont la chrétienté conçoit sa propre organisation. En plus des menaces hégémoniques de Constantinople, deux autres dangers guettent aujourd'hui cette organisation. Le premier est le cas du Qatar. 

Le Qatar est un territoire qui dépend du patriarcat d'Antioche. Or le patriarcat de Jérusalem a décidé de nommer un évêque pour le Qatar.  Jusque là, rien de dramatique : il y a souvent des évêques d'un lieu envoyés en délégation dans un autre lieu. Mais il lui a donné le titre d'archevêque du Qatar. Un peu comme si Moscou nommait son propre archevêque de Constantinople, en faisant abstraction de celui qui revendique déjà ce titre.

L'exemple du Qatar est à l’Église ce que le Kosovo est à la géopolitique : un dangereux précédent qui fixe dans les faits et dans le droit une évolution des règles préexistantes. Si le Kosovo peut, du seul avis de ses représentants locaux et sans référendum, décider de son indépendance, et si cette indépendance est reconnue par la cour internationale de l'ONU comme l'expression du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, alors plus rien n'empêche le président du Conseil Général des Bouches du Rhône de proclamer son indépendance, ou même de demander son rattachement à l'Algérie (par exemple). C'est d'ailleurs le précédent du Kosovo qui a fondé en droit l'indépendance de la Crimée.

Le même raisonnement fait que la reconnaissance de l'archevêque du Qatar, dépendant de Jérusalem, par les autres Églises, porte en elle le principe de destruction des règles qui ont gouverné l’Église durant des millénaires.


La seconde menace est la perte des valeurs qui sont le fondement du christianisme. Malheureusement, la décadence est le propre des anciens empires en déclin. C'est ainsi que la première Rome s'était mise à vendre les places au Paradis, garantissant à l'acheteur une place de choix sans qu'il ait besoin de faire très attention à ses actes. Luther s'était élevé contre cette pratique, ce qui avait donné naissance au protestantisme. De même, la seconde Rome se trouve aujourd'hui mêlée à des dérives que non seulement elle n'essaie plus de combattre, mais qu'elle cautionne par son silence.

J'ai déjà évoqué, sur ce blog, le fait que nous avons mis en vente, à Lyon, les sacrements. Il y a une grille tarifaire pour dispenser un baptême, un mariage ou un enterrement. Et celui qui ne paie pas ne peut pas recevoir le sacrement. J'ai une amie, M. K., qui a eu des jumeaux. Lorsqu'elle les a fait baptiser, le père Nicolas Kakavelakis lui a dit que c'étaient deux baptêmes, et lui a fait payer double tarif (autour de 500 euros). 

Malheureusement, de telles situations sont loin d'être l'apanage de la diaspora, et la Grèce ne manque pas d'exemples de déontologie douteuse. Alexis Tsipras, qui porte dans son programme la fin de la rémunération des prêtres par l’État, sait pertinemment quelles dérives un clergé de fonctionnaires peut engendrer.

Alors que faire lorsqu'une juridiction ecclésiastique, résidu cancéreux d'un empire en déclin, revendique des territoires sur la base de raisonnements spécieux ? Que faire lorsque cette revendication ne sert pas à défendre les valeurs dans lesquelles nous croyons ? Que faire dans un pays comme la France, où les juridictions s'entremêlent, où des intérêts géopolitiques menacent le fonctionnement de l’Église, transformant un pays chrétien en Far-West ecclésiastique où tout semble permis ?

Doit-on fermer les yeux en se disant que Dieu pourvoira ? Doit-on, dans un acte de charité mal éclairé, faire un don pour aider le métropolite à prendre un peu de réconfort pendant ses vacances ? Doit-on se fédérer pour essayer de négocier de meilleurs prix sur les sacrements ? Doit-on accepter que nos enfants à l'étranger dépendent de ce système corrompu ? Pour ce qui est des Russes, doivent-ils accepter que les Russes en France dépendent des Grecs ?

Cette réflexion sur la hiérarchie des choses entre elles est le cœur du questionnement du Christ lorsqu'il demandait : Lequel est le plus grand, l'or, ou le temple qui sanctifie l'or (Matth. 23, 17) ?

Le fonctionnement multipolaire de l’Église doit être préservé. Mais, supérieure à la manière dont les Églises locales s'articulent entre elles, se trouve la mise en pratique des préceptes de l’Évangile. La transformation des cœurs par ces valeurs prime sur toute autre considération. C'est ainsi qu'il est dans l'ordre des choses que Constantinople garde une place privilégiée dans les diptyques, mais s'il s'avère impossible de combattre la corruption qui gangrène son clergé, alors il deviendra légitime que la troisième Rome se fasse le porte-flambeau des valeurs de l’Évangile, et transforme les juridictions décadentes en exarchat. Et alors nous assisterons à la naissance de l’Église grecque, exarchat de Moscou !

dimanche 25 janvier 2015

151- Église grecque, exarchat de Moscou part. 3




Les règles de l’Église orthodoxe sont relativement simples à comprendre. Si une chose est évoquée dans l’Évangile, qui englobe ici le début des Actes des Apôtres, alors la référence du texte saint prime sur toute autre interprétation qui pourrait avoir été donnée, aussi savante puisse-t-elle paraître.

La conception de l'organisation de l’Église vient directement de deux passages. Tout d'abord celui dans lequel le Christ envoie ses disciples à travers le monde pour annoncer la bonne nouvelle de son message (Matth. 28, 16-20). Il ne place aucun d'entre eux au-dessus des autres et laisse chacun libre de suivre l'Esprit qui le guide. 

Le second est celui où est relatée la manifestation de la Pentecôte. Lorsque l'Esprit-Saint apparut aux disciples dans le cénacle, il le fit sous forme de langues de feu. Chaque langue descendit sur chacun des apôtres (Act. 2, 1-12). Si l'Esprit avait voulu créer une hiérarchie, il serait descendu sur André, ou sur Pierre, ou sur Jean, ou sur un autre, et se serait ensuite répandu sur les autres par l'imposition des mains, ou un souffle, ou un autre moyen émanant de cet apôtre.

De ces deux événements vient la conception multipolaire de l’Église chrétienne. L'Esprit s'est répandu par le monde grâce à tous les hommes de bonne volonté qui ont accepté de porter son message d'amour, sans que celui-ci ne soit relayé par une autorité centralisée.

Les rois mages n'étaient pas des juifs, les bergers n'étaient pas des prêtres... et pourtant chacun s'est inscrit à son niveau dans l'histoire du salut. Aujourd'hui encore, l'Esprit n'a pas besoin d'une autorité centralisée pour poursuivre l’œuvre qui est la sienne depuis l'origine du monde.

Des églises indépendantes, dites autocéphales, se sont constituées pour des raisons administratives et politiques, mais le cœur vivifiant de l’Église réside dans la foi, et non dans l'organisation. C'est pour cela que les Églises orthodoxes n'ont jamais accepté la conception des papes de Rome qui essayent d'asseoir leur autorité sur une primauté qu'ils auraient reçue d'En-Haut.

L'organisation des Églises orthodoxes voudrait donc que chaque Église rayonnante et vivante ait sa propre hiérarchie. C'est ainsi qu'il devrait y avoir une Église des États-Unis, une Église de Chine, ou encore une Église de France. Il y a pourtant en son sein des forces qui tentent de s'opposer à ce fonctionnement.

L'usage de l'autocéphalie est aujourd'hui à nouveau fortement contesté dans son principe. Qu'il soit renvoyé ici à la correspondance polémique, extrêmement intéressante, échangée par le Phanar et le Patriarcat de Moscou dans la première moitié de l'année 1970. La cause en était l'autocéphalie proclamée par Moscou, de l’Église russe en Amérique. Selon la conception russe, toute l’Église indépendante a le droit d'octroyer l'autocéphalie à ses Églises-filles, de sa propre autorité. La reconnaissance de l'autocéphalie est ensuite une affaire interne de l'Église-mère, émanation de la souveraineté d'une Église. Il est nié implicitement que le Phanar et les autres Églises-membres aient leur mot à dire. Le Phanar combat énergiquement les thèses de Moscou : si chaque Église autocéphale s'octroyait le droit de mettre au monde dans sa propre zone, par un acte unilatéral, de nouvelles " filles " autocéphales, cela ne pourrait que conduire " au bouleversement de l'ordre ecclésial et à la confusion générale ". (Friedrich-Wilhelm Fernau, L’Église orientale et son prochain concile, 1972, p. 83).

L'exemple de la France reste sujet à polémique. Car créer une Église de France revient à considérer qu'il n'y a plus de rapprochement possible avec les catholiques. En effet, créer une Église orthodoxe de France autocéphale serait nier toute légitimité à l’Église catholique et rendrait impossible le moindre rapprochement. Prenons un exemple politique pour expliciter mon affirmation : si la région d'Odessa est victime d'atrocités, fût-ce par le pouvoir dont elle dépend, elle reste sous l'autorité de ce pouvoir, même si elle cherche à obtenir justice de ces crimes. Mais le jour où Odessa proclamera son indépendance et la création d'une nouvelle république, il n'y aura plus de rapprochement possible.

Même s'il y a 1000 ans que nous sommes séparés, créer une Église de France serait un geste de rupture d'avec les catholiques aussi fort que le sac de Constantinople par les croisés. C'est pour cela que les orthodoxes n'ont jamais cherché à créer d’Églises autocéphales sur les territoires occidentaux des premiers siècles.

Donc, à moins d'unir les Églises chrétiennes et de les réorganiser, nous n'aurons pas d’Église autocéphale de France avec un patriarche à sa tête. Ce qui sauvegarde la légitimité de la représentation des différents patriarches pour leurs fidèles respectifs. La France n'est pas un pays barbare sur lequel Constantinople pourrait revendiquer une juridiction suivant les termes du 28ème canon du concile de Chalcédoine.

Cette situation fait que nous avons, aujourd'hui, une multiplicité d'évêques, en France, qui dépendent chacun de juridictions différentes. L'Assemblée des Évêques Orthodoxes de France, présidée par monseigneur Emmanuel Adamakis, étant un organe de réflexion plus que de décision.

Un article reprenant la situation dans la diaspora rapportait une décision préconciliaire de Chambésy : " En dépit des Saints Canons, les Orthodoxes, en particulier ceux qui vivent dans les pays occidentaux, sont divisés en groupes ethnico-raciaux. Les Églises ont à leur tête des évêques choisis pour des considérations ethnico-raciales. Souvent ces derniers ne sont pas seuls dans chaque ville et parfois n'entretiennent pas de bonnes relations et se combattent ", ce qui " est une honte pour toute l'orthodoxie et la cause de réactions de Constantinople, qui n'a pas été publiée, et affirment ainsi l'accord des plus hautes autorités de l'Orthodoxie sur ce principe. La décision de Chambésy IV, contresignée par tous les délégués dûment mandatés par toutes les Églises orthodoxes défavorables qui se retournent contre elle ".

 
Si l'on reconnaît que certains pays occidentaux dépendent de Rome, il n'en est rien pour les pays d'Asie, d'Amérique ou d'Afrique. Et ce, même si certains pays d'Amérique du Sud sont aujourd'hui en grande partie catholiques. La bataille de la revendication de ces zones géographiques est stérile au regard de la foi. Il conviendrait que les pays de ces régions du monde jouissent de leur indépendance.

Ils ne seraient alors plus considérés comme des diasporas dans lesquels se retrouvent des immigrés de pays orthodoxes divers, mais comme des pays faisant vivre la foi, chacun en tenant compte de ses spécificités propres. Il serait, à mon sens, parfaitement légitime qu'il y ait une Église du Brésil, ou une Église des États-Unis, tout comme il y a une Église d'Albanie. L'Albanie pourrait avoir son propre patriarche, et les USA non ?

Dans chacun de ces pays, il pourrait y avoir des prêtres célébrant en russe, ou en grec, ou en roumain, dépendant du seul patriarche du lieu, et non d'une multiplicité de patriarches cherchant chacun à faire valoir son influence sur le pays en question. Et le jour où les Églises catholiques et orthodoxes seront à nouveau unies, il faudra envisager que Rome laisse à ces pays-là leur indépendance ecclésiale. Car sinon des conflits de pouvoir et d'intérêts politiques viendront saper les fondements de cette unité retrouvée.


Dans la préparation du grand concile panorthodoxe, les visions des patriarches de Constantinople et de Moscou s'opposent. Constantinople voulant ressusciter à son profit la prééminence qu'elle contestait à Rome en son temps. Et Moscou étant davantage attachée à défendre la conception multipolaire en vigueur depuis plus de 2000 ans.

Le patriarche de Russie, Alexis II, écrivit le 18 mars 2003 au patriarche de Constantinople pour contester l'interprétation que ce dernier faisait des canons des conciles pour asseoir sa propre autorité. Sa lettre est traduite et reproduite ici.

Dépendant moi-même de Constantinople, je ne peux que m'inquiéter de la conception hégémonique qu'elle tend à mettre en œuvre, car cela ne reflète en rien le message du Christ contenu dans l’Évangile, et ne peut être que l'aliment des tensions actuelles et le ferment de divisions à venir.

Les évêques considèrent parfois que l’Église est le corps dont ils sont la tête. Mais une tête vide n'a jamais été utile à celui qui la porte. Pour ma part, j'estime qu'ils devraient en être le cœur, le principe qui donne la chaleur et la vie à tout le reste, le siège de l'amour capable d'en remplir le corps. Peut-être Constantinople comprendra-t-elle alors qu'elle ne poursuit qu'une illusion qui l'a conduite à perdre de vue les valeurs qu'elle était censée défendre.