de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 29 mars 2014

108- Église autocéphale de Chine

D'un point de vue chrétien autant que d'un point de vue politique, l'évolution de la Russie depuis la chute des Tzars est un grand enseignement. Nous avons d'abord eu une période de révolutions et de guerres qui ont été marquées par la volonté de détruire les fondements spirituels de la société, notamment avec Lénine et Staline. Leur pouvoir n'a pu se maintenir que par une répression sanglante.

Seulement, lorsqu'on commence à tuer tellement de personnes, on tue des bons comme des méchants. On tue des élites intellectuelles comme des gens simples, on tue des entrepreneurs ambitieux comme des ouvriers et, en tuant tout le monde, on finit par tuer le développement de son pays, son rayonnement et son avenir. L'URSS s'est ainsi mise dans une impasse financière telle qu'elle n'avait plus les moyens d'éviter son éclatement sous le mandat d'Elstine.

La grande révolution de Vladimir Poutine fut de ne plus opposer l’État et la religion, mais de considérer que l'harmonie des deux peut éviter une rupture dans le fonctionnement de la société. Il a utilisé ce que l'on peut appeler le nationalisme religieux. Cette plaie détestable lorsque la politique déforme la religion pour l'utiliser à ses fins, ou lorsque les religieux agissent en hommes politiques vidant leur message de toute substance, devient source de rayonnement lorsque chacun reste à sa place, mais que les deux ont conscience que leurs intérêts supérieurs sont les mêmes et qu'ils doivent agir, chacun dans leur domaine, pour le développement de leur pays et de leur peuple.


Là où nos hommes politiques n'arrivent plus à finir un seul mandat de 5 ans, Poutine en est à son quatrième mandat de 6 ans (j'espère que Medvedev me pardonnera de le mettre dans un rôle de figurant) et sa cote de popularité n'a jamais été aussi élevée. Son pays n'a jamais été si puissant financièrement et militairement. Les Russes n'ont jamais été si fiers d'eux et de leur pays. Et même si les USA tentent de les étouffer par une guerre financière faite de sanctions diverses, leurs perspectives de développement restent fortes.

Et c'est là que j'ai du mal à comprendre les autorités chinoises. Après une persécution propre à tous les pays communistes, la religion y est aujourd'hui exercée plus librement. Wikipedia présente une très bonne synthèse des religions en Chine aujourd'hui. Parmi elles, le christianisme est celle qui présente le plus grand développement, passant de 700 000 personnes en 1950 à 56 millions en 2007, soit une augmentation de 8571% en un peu plus de 50 ans. Même si, toutes proportions gardées, cela reste peu au regard de la population chinoise.

Certains faits d'actualité contribuent largement au développement des valeurs morales et religieuses. Je pense, par exemple, à cette fillette de 2 ans tuée devant la boutique de son père en étant écrasée par deux camions. Le premier camion l'a écrasée une première fois en roulant sur son corps deux fois. Puis un second camion l'a a nouveau écrasée. Il a fallu de longues minutes avant que quelqu'un ne lui porte secours, malgré les dix-huit personnes qui sont passées près d'elles alors qu'elle agonisait au sol. Elle est morte quelques jours plus tard à l’hôpital. Ces images très dures ont fait le tour de Chine et du monde ; elles ont créé une émotion considérable et les Chinois se sont demandés comment la quête de l'argent avait pu les avilir à un tel stade d'indifférence, leur faisant perdre les valeurs collectives d'entraide et de solidarité.

Pourtant, le christianisme protestant ou catholique (les orthodoxes sont quasiment absents de Chine) pose problème aux autorités. 

Le christianisme catholique, de part son organigramme, impose que les évêques dépendent directement du pape de Rome et soient nommés par lui. Un peu comme le fait d'adhérer à l'Otan impose d'être soumis à un commandement américain. Une mise sous tutelle inacceptable pour un peuple fier et indépendant. Les autorités chinoises la combattent tant qu'elles peuvent. D'abord en ayant créé une église catholique officielle avec des évêques inféodés à l'État et nommés par lui, mais non reconnus par Rome. Puis en combattant le clergé catholique officiel.

C'est ainsi que l'évêque catholique clandestin de Shangaï vient de mourir en étant assigné à résidence, après avoir passé des années en camp de travail et en détention. Mais, comme chaque fois que nous avons un sentiment de persécution injuste, le martyre d'une personne renforce son message au lieu de le discréditer. Si bien que des milliers de fidèles ont assisté à ses obsèques.

Les protestants sont également dangereux pour l’État car de nature à créer des divisions au sein de la société. La multitude de leurs 1200 mouvements distincts conduit régulièrement à des dérives sectaires et à un morcellement communautariste. Et, en tout cas, cette division n'est pas propice à fédérer la société autour de valeurs communes.

Les orthodoxes n'ont pas la même conception du prosélytisme. Nous avons, bien sûr, quelques brebis galeuses - ou, en l’occurrence, quelques pasteurs galeux - qui vont vouloir convertir un maximum de personnes, usant pour cela de pressions psychologiques malsaines destinées à créer un ascendant sur des personnes fragiles, mais notre spiritualité se propage plus par l'exemple que nous donnons que par une volonté hégémonique. 

C'est ainsi que lorsque la Russie s'est convertie au christianisme avec le baptême du prince Vladimir Ier, en 988, ce fut à l'initiative du prince qui avait envoyé dans toutes les parties du monde des émissaires pour étudier les religions et choisir celle qu'il allait adopter.

Pour ma part, j'ai du mal à comprendre que la Chine essaye de combattre le catholicisme romain par une église artificielle, alors qu'il lui serait si facile de favoriser le développement d'une Église autocéphale orthodoxe prônant les mêmes valeurs évangéliques, mais avec une conception ecclésiologique beaucoup moins rigide et occidentalisée.

En 1922, l’Église d'Albanie s'est déclarée indépendante. Les autorités albanaises ne voulaient pas que les prêtres orthodoxes soient nommés par la Grèce et dépendent d'elle afin d'éviter toute ingérence dans leurs affaires intérieures. Le patriarche de Constantinople, dans une décision qui s'est révélée être pleine de sagesse, a validé ce statut d'autocéphalie (qui a sa propre tête) en 1937. Le Patriarche actuel est monseigneur Anastase. Il est apprécié de tous, y compris des autorités albanaises qui avaient un apriori négatif contre lui du fait de ses origines grecques. Il s'attache au développement spirituel de son pays, loin de toute ingérence politique.

Si la Chine le voulait, de part son importance territoriale et ses liens privilégiés avec la Russie, elle n'aurait aucun mal à se voir accorder un statut d'autocéphalie avec son propre patriarche qui ne dépendrait d'aucune tutelle extérieure. Elle n'aurait plus une Église de l'ombre qu'elle combat et une Église officielle sans légitimité ecclésiastique. De cette façon, le développement du christianisme face aux religions ancestrales du pays ne serait plus le ferment de divisions futures de la société, mais participerait à sa cohésion, comme Poutine a su le faire dans son pays.

Il n'est pas sûr que le pape de Rome apprécie une telle évolution, mais c'est une autre question...

Même s'il s'agit ici d'une projection qui va au-delà d'un développement sur quelques années, participer à une telle construction serait passionnant et j'espère qu'il me sera un jour possible d'en suivre l'évolution au fil des nouvelles diffusées sur internet.

samedi 22 mars 2014

107- Father Ted

Je voulais féliciter mon ami Nikos pour la naissance de son fils. Puisque l'heure est à la fête, je placerai ce message sous le signe de l'humour.

Les Irlandais ont réalisé une série télévisée basée sur le monde des prêtres qui est d'un humour ravageur : Father Ted. Mr Bean est, en comparaison, d'un grand raffinement.

C'est l'histoire de trois prêtres bannis par leur évêque sur une île irlandaise. L'un d'eux, le père Ted Crilly, a détourné l'argent de sa paroisse pour aller le jouer à Las Vegas. L'évêque ne lui rendra une paroisse que lorsqu'il aura récupéré l'argent. Le second, de 26 ans, est un simple d'esprit qui ne croit pas en Dieu. Personne ne sait comment il s'est retrouvé au séminaire. Il fut exilé après une excursion dans un couvent. Le troisième est un alcoolique pervers en état de décomposition qui ne se lève jamais de son fauteuil et ne sait dire autre chose que des insultes.

Voici, pour passer un moment de détente, un épisode de la série : Father Ted se voit confier une mission par son évêque. Mais la mission est un échec total, si bien que l'évêque veut l'exiler encore plus loin. Finalement, il réussit à rester sur son île après avoir découvert que l'évêque a un fils caché et une femme aux États-Unis. Il utilise ces éléments comme chantage contre l'évêque qui doit le supporter malgré le fait qu'il le déteste. Je suppose que pour le réalisateur toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est parfaitement intentionnelle.



80% des personnages qui interviennent dans cette série sont des prêtres qui ont tous des problèmes plus graves les uns que les autres. Quand aux évêques, ils sont pires que leurs prêtres, même s'il est dur de concevoir que cela soit possible. Sans doute le réalisateur de la série avait-il un compte à régler avec l’Église et les dizaines de milliers de cas de pédophilie qui ont ravagé l'Irlande plus que tout autre pays, ou les couvents de l'horreur, ou tant d'autres dérives qui ont marqué la population de ce pays.


Les prêtres sont souvent doués dans l'humour décalé. Prenez Nikos. Lorsqu'il voulait me chasser de l'église, il a essayé de convaincre ceux qui voulaient bien l'écouter que mes grands-parents étaient Albanais et que ce pays, sous influence turque pendant des siècles, ne pouvait permettre à ses ressortissants d'être considérés comme Grecs ou d'origine grecque. Or, ce lien à la Grèce est indispensable pour faire partie de notre communauté, si nos statuts sont pris dans un sens strict.

Mais il n'a pas insisté sur cette voie, car ma cousine, qui a les mêmes origines que moi, est sa secrétaire, ainsi que la trésorière de l'évêque. Me mettre dehors pour ce motif aurait donc créé un précédent que l'évêque n'aurait pas apprécié. Et puis il se serait mis à dos l’État Grec qui considère que l’Épire du Nord, qui va jusqu'à la ville de Himara, est Grec. Sa position aurait compromis la légitimité d'un référendum dans le cas où les habitants d’Épire demanderaient leur rattachement à la Grèce.

Même si j'avais effectivement été Turc, en quoi cela aurait-il dû me gêner ? L'important n'est-il pas d'essayer de rester juste dans ce que l'on fait et de construire de belles choses dans sa vie ? 
 
Mais là où Nikos a eu beaucoup d'humour, c'est que lui-même revendique un lien avec la Turquie, comme il s'en est vanté sur Facebook.



Si je devais utiliser les mêmes méthodes, et par là-même légèrement provoquer, je ferais constater que nous n'avons aucun document permettant d'établir qu'il soit Grec où d'origine grecque, ce qui, d'après ses propres critères, laisse ouverte la question de la légitimité de son appartenance à notre communauté.

Je trouve vraiment dommage de rester cloisonné dans une telle vision limitative. Et je trouve encore plus dommage que Nikos ait mis dehors Jean M., chantre Roumain qui chantait dans notre paroisse depuis 30 ans, au motif qu'il n'était pas Grec. Je trouve également dommage qu'il ait supprimé une grande partie du français utilisé dans la liturgie au motif qu'il s'adressait aux Grecs.

Après plus d'un an d'absence, Jean M. est revenu chez nous il y a deux semaines, lorsque la paroisse roumaine était invitée pour le dimanche de l'Orthodoxie (1er du grand carême). Il m'a redit combien il était content de pouvoir revenir et comme son renvoi l'avait blessé. J'espère qu'un jour il ne reviendra plus seulement comme invité occasionnel, mais qu'il aura à nouveau le sentiment que cette église est la sienne, au même titre qu'elle est à tous ceux qui veulent venir s'y recueillir, quelles que soient leurs origines.

Pour ne pas avoir plus de notions de l'universalité de l’Église, sans doute Nikos a-t-il du faire son séminaire au même endroit que Father Ted.

jeudi 13 mars 2014

106- Quête d'argent

Par sa parole annonçant qu'il n'était pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir (Matt. 5, 17), le Christ a rendu obsolètes les règles fixées depuis Moïse. C'est ainsi qu'ont disparu de nombreux aspects qui étaient essentiels dans l'Ancien Testament :

- La circoncision, signe charnel d'une appartenance au peuple de Dieu, a disparu au bénéfice du baptême ;
- La loi du  talion, permettant de rendre le mal qui était fait à hauteur de ce mal, mais sans le dépasser, évolua vers le pardon des offenses ;
- Le sacrifice de l'agneau, le jour de la Pâque, dont le sang fut répandu sur les portes des juifs pour protéger leurs premiers-nés lorsque les plaies s’abattirent sur l’Égypte, trouva son accomplissement dans le sang innocent versé par le Christ pour sauver le peuple. Si bien que les chrétiens ne sacrifièrent plus d'animaux ;
- Toute représentation divine était interdite sous toutes ses formes dans l'ancienne loi (Ex. 20, 4-6). Mais Dieu s'étant incarné et ayant pris des traits humains, il rendait obsolète ce principe de l'Exode, ce qui fut le fondement du développement de l'art iconographique ;
- La notion de peuple élu, celui par qui le Messie serait envoyé aux hommes pour établir le règne de Dieu, a disparu, le Christ ayant envoyé ses disciples enseigner et baptiser toutes les nations et ayant rappelé que le royaume de Dieu n'est pas de ce monde ;
- Le respect du sabbat fut rendu vain, car la Création avait dépassé le repos du 7ème jour pour arriver dans l'éternité du 8ème jour, grâce au Christ qui rouvrit le Paradis (symbole repris par Virgil Gheorghiu dans De la 25ème heure à l'heure éternelle) ;
- Les nourritures interdites ont disparu depuis une vision décrite dans les actes des apôtres et dans laquelle nous lisons : Ce que Dieu a déclaré pur, que l'homme ne le regarde pas comme souillé (Act. 10, 15).

Nous pourrions remplir des pages entières de toutes les règles de l'Ancien Testament qui ont ainsi disparu, ayant trouvé leur accomplissement par l'Incarnation du Christ.

Il en est pourtant une qui a survécu, et ce contre les paroles-mêmes de l’Évangile : la dîme.

En disant : Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (Matt. 10, 18), le Christ abrogeait la loi demandant de verser dix pour cent de ses revenus au trésor du Temple (Lv. 27, 30). Non content d'avoir fixé ce précepte, le Christ en renforçait le principe en disant : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtu (Matt. 6, 25). Principe qui s'adresse en tout premier lieu au clergé qui est censé rendre présent et vivant le message de l’Évangile.

Pourtant, deux mille ans plus tard, nous ne pouvons que constater que le Christ n'a pas été très écouté sur ce point.

Ce fut d'abord un particularisme de l’Église de Rome, où fut instauré le denier de Saint Pierre, qui apparaît au VIIIème siècle et se poursuit sous diverses formes jusqu' aujourd'hui.

Ce denier de Saint Pierre, qui fut souvent similaire à l'impôt que les Allemands versent encore aujourd'hui sous peine d’excommunication, fut complété par des quêtes. Au-delà des buts pieux de ces quêtes se cachaient souvent des motivations politiques et militaires. C'est ainsi que le premier concile de Lyon, en 1245, fixa les règles du financement de la septième croisade.

Ces quêtes d'argent ont donné lieu à d'innombrables dérives. Comme celle très récente où il a été avéré que les évêques allemands, propriétaires du réseau d'édition Weltbild, possédaient et distribuaient plus de 2500 titres différents de revues porno. Paolo Gabriel, majordome du pape Benoît XVI, a été emprisonné pour trois ans après avoir livré aux journalistes les preuves de ces dérives. Et même si j'aime bien le pape François, laisser cet homme en prison reste un gros point noir de son pontificat.

Ces quêtes, pour des raisons pratiques et de meilleur rendement, ont été placées durant la messe, là où il est difficile de s'y soustraire. Dans le monde catholique, elles sont aujourd'hui très réglementées, comme le montre ce mode d'emploi de l'évêché de Strasbourg.

Dans l'orthodoxie, l'histoire des quêtes a subi une autre évolution. D'abord parce que l'orthodoxie a toujours revendiqué sa légitimité comme venant directement de l’Évangile, et non d'une autorité temporelle qui fixerait les règles à sa convenance, comme le Pape de Rome chez les catholiques. Et l’Évangile ne peut pas être plus clair sur la place que doit occuper l'argent.

Ensuite, la théologie liée à la liturgie de saint Jean Chrysostome, qui est célébrée dans les églises orthodoxes, rend injustifiable la présence des quêtes. 

Cette liturgie se décompose en deux grandes parties : la liturgie de la parole, suivie de la liturgie des fidèles.

La liturgie de la parole sert à l'enseignement des catéchumènes. On y trouve la lecture de l’Évangile et des épîtres, le sermon du prêtre, les grandes prières pour le monde et divers textes qui ont un but didactique.

Elle est suivie de la liturgie des fidèles, d'où étaient initialement exclus les non-baptisés. Cette partie de la liturgie est exclusivement destinée à la consécration des Saints Dons et à la communion. Lorsqu'il célébrait dans son monastère, le père Placide a toujours refusé de faire son homélie avant la communion, comme cela se pratique parfois dans les paroisses. Il considérait cela comme un non-sens liturgique car l'homélie est censée être au cœur de la liturgie de la parole.

De la même façon, il disait que le moment le plus solennel de la liturgie était le moment où l'Esprit Saint descend sur l'autel pour transformer les dons. Toute la liturgie prépare ce moment pour conduire à la communion. C'est précisément le moment choisi par certains évêques cupides, comme monseigneur Emmanuel ou son prédécesseur, pour laisser s'installer une coutume propre au monde catholique qu'ils critiquent : la quête. 

Quel meilleur moment pour demander un peu d'argent que celui où tout le monde est rassemblé en silence et n'a rien d'autre à faire de ses mains que les utiliser pour sortir son portefeuille ? Il ne serait pas flatteur pour notre archevêque que je rapporte ce que le père Placide pensait de telles déviances, lui qui avait fui le monde catholique dans lequel ces pratiques étaient normalisées. 

On voit même, comme à Lyon, les quêtes se répandre lors des mariages, ou même des enterrements, comme j'ai pu le constater il y a quelques semaines pour le décès de la belle-mère d'un ami. Une quête lors d'un enterrement est une grande indignité. Il y a souvent des personnes qui pleurent autour du cercueil, et faire résonner le bruit des pièces à ce moment crée un anachronisme dévastateur pour le recueillement, la mémoire du défunt et le respect de la douleur des familles.

On en arrive au fait que les familles se voient demander 250 euros pour la célébration de l'office, doublé d'un ra-quête de tous les participants. Quête dont le père Nicolas demande d'ailleurs que le produit lui soit amené directement dans le sanctuaire, sans passer par le tronc de l'église, laissant supposer que les pauvres et l'évêque n'en verront pas beaucoup le contenu.

Quoi que les évêques essayent de faire croire, la vérité est que l’Église n'a pas besoin d'argent. Elle a vécu persécutée dans des catacombes sans manquer de quoi que ce soit et s'en est toujours tenue à la promesse du Christ qui lui disait de ne pas s'inquiéter de quoi serait fait le lendemain. Si elle a de l'argent, son honneur sera d'en faire de belles choses ; mais en chercher ne sera jamais un but légitime pour elle. Et certainement pas si cela vient pervertir les valeurs qu'elle défend.

Alors si vous êtes dans une église où vous voyez une quête se dérouler, ne donnez rien. Ce que vous avez à donner, donnez-le en entrant, ou en sortant, mais pas durant l'office.

samedi 8 mars 2014

105- Trésor de l'Église

Dans l'Ancien Testament, lorsque le temple de Jérusalem fut érigé, le trésor du temple fît également son apparition. C'est à ce trésor qu'étaient versées les offrandes d'or et d'argent que le peuple voulait offrir à Dieu. Ce trésor était à la disposition de la hiérarchie du clergé de l'époque constitué par le Sanhédrin

Les évangiles font souvent référence à ce trésor, mais rarement de façon positive. C'est ainsi que le Christ maudit les scribes et les pharisiens : Malheurs à vous, conducteurs aveugles ! qui dites : Si quelqu'un jure par le Temple, ce n'est rien ; mais si quelqu'un jure par l'or du Temple, il est engagé. Insensés et aveugles ! lequel est le plus grand, l'or, ou le Temple qui sanctifie cet or ? (Matth. 23, 16, 17).

Pour autant, le Christ ne condamne pas l'existence de ce trésor. Mais il ne le considère que comme la mesure de la foi de ceux qui y versent quelque chose. Jésus, ayant levé les yeux, vit les riches qui mettaient leurs offrandes dans le tronc. Il vit aussi une pauvre veuve qui y mettait deux petites pièces. Et il dit : Je vous le dis en vérité, cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres ; car c'est de leur superflu que tous ceux-là ont mis leurs offrandes dans le tronc, mais elle a mis de son nécessaire, tout ce qu'elle avait pour vivre. (Lc 21, 1-4).

Malgré les exemples vertueux manifestés par ce trésor, le Christ a voulu y mettre un terme. C'est ainsi qu'il dit au jeune homme riche venu le questionner sur ce qu'il devait faire pour hériter de la vie éternelle : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel (Mc 10, 17-23). Il aurait pu lui dire de tout mettre dans le trésor du temple et le louer comme la veuve qui y avait mis tout ce qu'elle possédait. Mais la voie de la perfection allait au-delà de simplement se débarrasser de ses biens. Il fallait que cet argent serve à des choses justes et aide ceux qui en avaient besoin. Ce qui n'aurait manifestement pas été le cas s'il avait versé l'argent au trésor du Temple.
 
C'est en effet de ce trésor que furent prélevées les trente pièces d'argent ayant servi à payer la trahison de Judas. La veuve qui a versé dans le trésor tout ce qu'elle possédait ne l'a pas fait pour que son argent serve à livrer un innocent aux soldats romains. Même si je ne suis pas dans sa tête, il y a fort à parier qu'elle a fait cette offrande en croyant qu'elle servirait une cause juste. En pervertissant l'usage de ce trésor, le clergé de l'époque a posé le fondement de la nécessité de sa disparition.

Lorsque le temps des persécutions contre les premiers chrétiens s'acheva, avec le règne de Constantin, les premiers moines apparurent, d'abord dans le désert d’Égypte. Saint Antoine, considéré comme le premier moine (Saint Athanase d'Alexandrie, Vie d'Antoine, 7, SC 400) s'inspira de la phrase que le Christ dit au jeune homme riche pour vendre ce qu'il avait, le donner aux pauvres, et se retirer au désert. 

Dans la continuité d'Antoine, le désert se remplit d'hommes dont beaucoup de paroles de sagesses nous sont parvenues au travers de textes appelés apophtegmes.

Le père Placide Deseille revient constamment, dans son enseignement et ses écrits, sur ces apophtegmes qu'il considère comme une source abondante servant à abreuver la vie spirituelle. C'est ainsi qu'il écrit : Un frère interrogea l'abbé Poemen en disant : " Mes parents m'ont laissé un héritage, que dois-je faire " Le vieillard lui répondit : " Que te dirais-je frère ? Si je te dis 'porte-le à l’Église et donne-le aux clercs', cela leur servira à faire de bons repas ; si je dis 'donne-le à tes proches, tu n'en auras pas de récompense'. Si donc tu veux m'écouter, donne-le aux pauvres et tu n'auras plus de soucis. " (Placide Deseille, l’Évangile au désert, cerf, Paris, 1999, p. 173, 7).

Cela nous montre plusieurs choses. D'abord, au IVème siècle, âge d'or du christianisme, et à peine 300 ans après le Christ, le clergé chrétien était déjà corrompu.

Ensuite, malgré la corruption, il était et il est toujours possible de vivre une vie spirituelle authentique, à condition toutefois de ne pas suivre l'exemple de n'importe qui sous prétexte qu'il porte un habit ou qu'il exerce une fonction. C'est à l'exemple qu'elle donne que l'on reconnaît la valeur d'une personne, et non à son statut.

On peut également considérer que l’Église n'est une bonne chose que si elle est au service de l’Évangile, et non au service du trésor qu'elle a généré. Car alors elle attire sur elle la même malédiction que le Christ adressa aux scribes et aux pharisiens. 

C'est cette nécessité de dissocier l’Église et l'argent qu'a relevée le pape François lors de son discours aux journalistes, après son intronisation.
 

Monseigneur Emmanuel aime prendre le père Placide comme caution morale. C'est pour cela que, bien que le père Placide ne relève pas de l'autorité canonique du métropolite mais directement de celle du Mont Athos, le métropolite prend le soin de l'inviter aux réunions de son clergé. Au moins pour l'avoir à ses côtés sur la photo.

Métropole grecque - assemblée du 11 novembre 2013

Mais plutôt que de se satisfaire de cette manifestation superficielle, le métropolite gagnerait à considérer que le père Placide rappelle depuis des dizaines d'années et sans ambiguïté que l'argent donné à l’Église n'aura d'autre finalité que de servir aux clercs à faire de bons repas.
 
Métropole grecque - assemblée du 11 novembre 2013
 
Le jour où il aura compris la portée de ces paroles, il cessera de convoiter les héritages des vieilles dames. Et s'il commence à lire les livres du père Placide, il découvrira dans les citations utilisées qu'il y a quelqu'un d'encore plus fou qui a dit : va, vends tout ce que tu as, et donne-le aux pauvres. Et lorsqu'il l'aura fait, il saura que là réside le véritable trésor qu'il est digne de convoiter.

samedi 1 mars 2014

104- Cierges

En Grèce et à Chypre,  toutes les églises ont les mêmes bougies : petites, abondantes et peu coûteuses. Elles sont mises à disposition des fidèles à l'entrée, et chacun dépose dans l'urne présente une offrande à sa libre appréciation. Le procédé est le même dans la grande métropole d'Athènes ou dans une chapelle perdue au milieu des montagnes de Crète.

Timiou Stavrou - Omodos - Chypre
Agia Irini - Zoniana - Crète
Agios Athanassios - Axos - Crète
Agios Georgios - Mont Lycavette - Athènes - Grèce
Agios Minas - Métropole d'Héraklion - Crète
Anogia - Crète
Arolithos - Crète
Grande Métopole de Limassol - Chypre
Grande Métropole d'Athènes - Grèce
Kato Lefkara - Chypre
Les Météores - Moni Agia Triada - Grèce
Moni Ioannou Prodromou - Bali - Crète
Panagia Charakiani - Bali - Crète
Psiloritis Dimon - Crète
Zakros-Crète
église de Choromilia - Grèce
église en construction - plage de Fodele - Crète

Aucun prix n'est jamais fixé, à cause de la parole du Christ lorsqu'il a chassé les marchands du temple : N'est-il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs (Mc 11, 17).

J'ai parfois vu un petit 1 discret, laissant supposer que le prix était de 1 quelque chose (à droite, sous les bougies sur la photo). Mais ceux qui ont mis cette petite indication subliminale n'ont pas osé y indiquer une référence de monnaie, à cause du passage de l’Évangile cité plus haut.
 
Psiloritis - Crète

Mais nulle part je n'ai vu ce que nous faisons à Lyon, ou dans d'autres église dépendant de monseigneur Emmanuel : un véritable catalogue de petit commerce local avec des produits allant de 1 à 5 euros.

église grecque de Lyon

Certaines photos montrent d'ailleurs les technique d'écoles de commerce qui préconisent d'avoir un prix d'appel bas, mais d'organiser la rupture sur ce produit pour favoriser la vente des modèles supérieurs. 


Nous avons vu dans le message précédent l'importance de la bougie dans la tradition orthodoxe. Fixer un prix pose une barrière entre la plénitude de l'office, et sa mise en application. Aujourd'hui, à Lyon, beaucoup n'achètent plus de bougie, même à Pâques, car elles sont devenues trop chères. Elles étaient vendues 8 euros l'an dernier, pour le soir de Pâques. C'est un peu comme les locations saisonnières dont le prix double en été lorsqu'il y a beaucoup de demande. Sauf qu'ici doubler ne suffit pas.

Plus personne ne prend aujourd'hui de bougie pour les collyves (prière des défunts). Le mercantilisme du clergé et du conseil qui le soutient conduit inexorablement à la perte du sens liturgique et de nos traditions.

Du temps du père Athanase, il y avait déjà des prix affichés. Mais personne ne s'en souciait car la communauté était vivante et l'église toujours pleine. Son autorité spirituelle palliait de loin ce genre de petites dérives qui se répandaient dans certaines églises de la Métropole Grecque. Les prix étaient d'ailleurs souvent indicatifs, car je me rappelle que le père Athanase faisait distribuer gratuitement des bougies à toutes les personnes qui n'en avaient pas, lorsque l'office prévoyait que les fidèles en ait une.

Mais, en période de crise, comme aujourd'hui, ces points prennent toute leur importance. Il n'y a en effet plus personne pour distribuer des bougies à ceux qui n'en achètent pas. Les traditions sont, au contraire, utilisées comme moyen de racket.

Le père Nicolas me disait, lorsqu'il venait d'arriver à Lyon et que je refaisais son appartement : quand je serai président, je vais augmenter les bougies pour que l'évêque voie qu'avec moi l'église rapporte plus. Soit dit en passant, il a été furieux lorsqu'Angeloudis a fait passer le prix des bougies de 0,5 à 1 euro pour financer les travaux du presbytère, avant qu'il ne soit élu. Il me disait qu'on n'allait pas bien voir l'évolution des recettes avec lui. Il avait alors demandé à Angeloudis de faire revenir les prix à leur niveau initial, et les a augmentés quelques mois plus tard, lorsqu'il est devenu président...

Ce sont sans doute les Géorgiens qui ont raison, eux qui viennent parfois avec leurs bougies qu'ils amènent de chez eux. De cette façon, ils ne participent pas à la perversion des valeurs liturgiques, tout en gardant vivante la richesse de notre spiritualité.

Je ne suis pas sûr que le père Nicolas Kakavelakis soit jamais allé dans un séminaire, mais je veux bien le croire quand il dit qu'avant il était commercial. Pour ma part, je crois même que le mot avant est superflu.

Que ce soit d'un feu d'amour ou de celui de la cupidité, il appartient à chacun de savoir de quoi il veut brûler. Mais, comme nous l'avons vu dans le message précédent, rappelons-nous qu'auprès de Dieu seul l'amour permet de brûler sans être consumé.