de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 9 juillet 2016

225- Repentir eschatologique



Origène vécut au IIIème siècle et est considéré comme le père de l'exégèse biblique pour avoir commenté tous les Livres de l'Ancien et du Nouveau Testament dans une œuvre exégétique gigantesque. Il fut le maître à penser des principaux Pères de l’Église, comme Grégoire de Nazianze, ou Basile de Césarée. L'infaillibilité n'étant pas le propre de la nature humaine, certaines de ses thèses furent rejetés, y compris par ses propres disciples. Il ne fut jamais canonisé à cause de ces écrits, mais resta néanmoins considéré comme l'un des plus grands penseurs chrétiens.

L'une des théories qu'il développa était l'apocatastase, ou salut final de tout être, y compris du diable. Origène considérait que l'amour divin ne pouvait avoir aucune limite. Car mettre une limite à cet amour était mettre une limite à Dieu, ce qui revenait à lui nier sa qualité divine puisque Dieu, par définition, ne peut avoir aucune limite.

Mais ceci aboutissait à nier la liberté de l'homme. Quelle liberté avons-nous si, quoi que nous fassions, nous serons tous sauvés ? Cela contredisait également de nombreux passages de l’Évangile où le Christ affirme que certaines fautes ne seront pas pardonnées (ex. Matth. 25, 41-46).

Par ailleurs, si Dieu est amour, ce serait avoir une vision erronée de l'amour que de le réduire à une forme de bienveillance universelle. Il suffit de voir ce que fait une mère à quelqu'un qui s'attaque à son enfant pour se convaincre des limites d'une telle définition.

Si l'amour divin œuvre au salut des hommes pour leur faire bénéficier des délices du paradis, l'histoire du salut cesse-t-elle de s'écrire, pour nous, le jour de notre mort comme l’Église l'affirme parfois ? À ce sujet, l'une des paraboles de l’Évangile est particulièrement énigmatique : celle du mauvais riche et du juste Lazare.


Il y avait un homme riche, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour menait joyeuse et brillante vie. Un pauvre, nommé Lazare, était couché à sa porte, couvert d'ulcères, et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche ; et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères. Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche mourut aussi, et il fut enseveli. Dans le séjour des morts, il leva les yeux ; et, tandis qu'il était en proie aux tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein. Il s'écria : Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue ; car je souffre cruellement dans cette flamme. Abraham répondit : Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne ; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres. D'ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire. Le riche dit : Je te prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père ; car j'ai cinq frères. C'est pour qu'il leur atteste ces choses, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments. Abraham répondit : Ils ont Moïse et les prophètes ; qu'ils les écoutent. Et il dit : Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront. Et Abraham lui dit : S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu'un des morts ressusciterait. (Lc 16, 19-31)

Lorsque le Christ raconte cette histoire, il n'a pas encore été crucifié, n'est pas mort ni ressuscité, et n'a donc pas ouvert les portes du paradis. Pourtant, Lazare est dans la béatitude du sein d'Abraham, qui conduisit de nombreux penseurs à se demander ce qu'elle pouvait être.

Le but même de cette vision est mystérieux. On pourrait comprendre que voir Lazare dans la béatitude puisse contribuer au tourment du mauvais riche, mais en quoi un tel spectacle aurait-il pu être bénéfique pour Lazare, ou même pour Abraham ?

On trouve dans les apophtegmes des Pères du désert cette histoire. Un jour, un frère alla voir un ancien et se plaignit d'un autre frère qu'il estimait être un grand pécheur. L'ancien lui dit : Si tu es sauvé et que lui est condamné, crois-tu que ta béatitude sera plus grande si tu le vois dans les tourments ?

Pour cet ancien, le simple fait de savoir que les pécheurs étaient dans les tourments était de nature à altérer la béatitude du paradis. Pourquoi alors Lazare dut-il souffrir du spectacle du riche dans les tourments, bien incapable d'ajouter à sa félicité ?

Les curés disent souvent, dans leurs homélies, que Lazare ne se distingua par rien d'autre que sa pauvreté. Ils précisent que cette pauvreté suffit à lui ouvrir les portes du paradis. Cette vision est particulièrement limitée, car tous les pauvres ne vont pas au paradis, ni tous les riches en enfer, sauf dans le programme électoral du Front de Gauche.

Ce qui distingue les hommes, c'est la pureté de leur cœur, telle qu'elle se manifeste au travers de leurs actions. Si la pauvreté de Lazare ne lui permettait pas de faire autre chose que de mendier, on peut néanmoins supposer que son cœur restait pur.

Un cœur pur est un cœur sans haine. Ainsi, il est possible de supposer que Lazare fut digne d'accéder à la béatitude bien avant que le Christ ne brise les portes des enfers parce qu'il n'avait pas de haine pour l'homme qui l'avait laissé dans l’indigence jusqu'à ce qu'il en meure.

Et s'il n'avait pas de haine, il est alors possible de supposer qu'il priait pour cet homme, pour ne pas le laisser dans l'état d'abandon qu'il avait dû subir durant sa vie. On peut même considérer que si Lazare était resté insensible au sort du riche dans les tourments, il n'aurait pas valu mieux que le riche, insensible envers lui, et n'aurait sans doute pas mérité la béatitude du sein d'Abraham.

Mais une prière aurait-elle pu sauver le mauvais riche ? Le sauver contre sa volonté et en dépit de ses actes, non. Sauf si l'on revient à l'apocatastase, et nous avons vu que cette théorie est contraire au message de l’Évangile.

Mais la prière de Lazare aurait pu conduire Dieu à donner au riche une chance de se racheter. Alors, la vision que le riche eut de la félicité de Lazare ne devrait plus être considérée comme un acte cynique destiné de lui donner à voir ce dont il ne jouira pas, mais comme l'occasion qui lui est offerte de se repentir.

Ce qui est frappant, dans le discours entre le riche et Abraham, c'est que le riche est encore tourné vers lui. Il parle de ses tourments, de ses frères, mais ne se remet pas en cause pour ses propres fautes.

Il s'adresse à Abraham et non à Lazare qu'il ne considère que comme un serviteur prêt à obéir à ce que lui commanderait Abraham pour venir soulager son tourment. Aux yeux du riche, Lazare n'était toujours rien, même après sa mort. Tout juste était-il bon à lui apporter un peu d'eau si on lui en donnait l'ordre.

Mais que serait-il advenu s'il avait demandé pardon à Lazare de l'avoir laissé dans l'indigence plutôt que de demander un réconfort pour apaiser ses tourments ?

Quelle aurait été la suite si, profitant de cette vision, il avait, tel le larron sur la croix, dit : Pour nous, ce que nous subissons est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes, mais toi, Lazare, je t'ai laissé souffrir injustement. Pardonne-moi ! ?

Se serait-il entendu répondre que personne ne pouvait rien pour lui ? Ou n'aurait-il pas plutôt entendu les mots du Christ sur la croix adressés au Larron : Aujourd'hui, tu seras avec moi dans le Paradis ?


Peut-on considérer que cette parabole, dans laquelle Abraham affirme au mauvais riche qu'il y a entre nous et vous un grand abîme, afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers nous, ne puissent le faire, soit la clé pour franchir cet abîme ?

Je crois que bien des choses sont mystérieuses dans l’Évangile. Mais le texte dit ceci : tout se passe en paraboles, afin qu'en voyant ils voient et n'aperçoivent point, et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point, de peur qu'ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés (Mc 4, 11-12). Si bien que la clé peut effectivement être masquée par des mots qui peuvent vouloir dire le contraire si l'on n'en comprend pas le sens profond.

S'il y a une histoire, dans l’Évangile, qui peut justifier l'apocatastase d'Origène, c'est celle du mauvais riche et du juste Lazare. Car nous pressentons ici que l’œuvre du salut peut se poursuivre par-delà la mort. Mais elle ne va pas contre la liberté de l'homme qui reste lui-même enfermé dans ses propres tourments. Et elle ne se fait pas sans le consentement de celui qui a souffert durant sa vie.


L'une des choses que l'actualité atteste chaque jour, et qui nous sera sans doute révélée dans les temps eschatologiques, est que les hommes - et le clergé en premier lieu - préfèrent rester cloîtrés dans leurs errements plutôt que de reconnaître la gravité de leurs fautes pour tenter de les réparer. Ce faisant, ils créent eux-mêmes les conditions de leurs tourments, s'y condamnent et les subissent sans nulle possibilité d'y échapper.