Lorsque
j'ai commencé l'année 2014 par une série de messages destinés à défendre la
liberté d'expression et Dieudonné, je ne pensais pas devoir commencer 2015 sur
le même thème, en plus tragique. La même motivation qui me poussait à écrire en
2014, affrontant les défenseurs du politiquement correct et les nombreuses
critiques qui ne manquèrent pas de se faire jour, me pousse aujourd'hui à
interrompre le cycle des messages que j'avais entrepris de rédiger pour rendre
hommage aux morts et aux blessés de Charlie Hebdo.
Je
pense bien sûr aux dessinateurs que tout le monde connaît, mais également aux
policiers et aux autres personnes, cruellement frappés pour avoir été sur leur
lieu de travail à simplement essayer d'accomplir leur tâche du mieux qu'elles
pouvaient.
J'ai
eu l'occasion, lors de la visite
du patriarche de Constantinople à Lyon, d'être en contact avec les
policiers du Service de Protection des Hautes Personnalités. Ils me disaient
qu'accompagner le patriarche était une mission agréable, car ils étaient
traités comme des membres de la délégation, allaient au restaurant et
bénéficiaient du niveau de vie confortable qui entourait le patriarche. Ce
n'était pas le cas sur toutes leurs missions, où ils devaient parfois se
contenter de repas frugaux, alors que la personnalité qu'ils accompagnaient ne
se privait de rien.
Dans
le cas du policier abattu alors qu'il protégeait Charb, il n'y avait pas de
grands restaurants où d’hôtels luxueux, mais simplement le devoir de protéger
une personne menacée. Et s'il m'arrive d'être critique
sur certaines actions de la police, il faut ici reconnaître qu'il y a parmi
eux des hommes qui donnent leur vie, au sens premier du terme.
J'étais
jeudi dernier en compagnie d'un policier. Outre les faits qui nous ont amenés à
nous rencontrer, nous avons parlé de l'actualité. Je l'ai senti profondément
affecté par la
vidéo montrant l'un de ses collègues, blessé, à terre, sans arme, demandant
pitié, se faire abattre par l'un des terroristes sans la moindre hésitation,
avec une maîtrise et un sang-froid de professionnel de la guerre.
Dans
toutes les guerres récentes, les médias ont montré des ressortissants de tous
les pays capables de la plus grande cruauté, à l'encontre même des corps des
morts. Je n'ai vu qu'un seul exemple du contraire, en Nouvelle-Russie. Des
combattants avaient abattu un avion de chasse qui les bombardait. Les pilotes
ont péri en s'écrasant. Les habitants ont recueilli les corps de ces pilotes,
et ils les ont enterrés en priant pour leur repos éternel.
Leur
attitude est pour moi une marque de profonde humanité et un exemple. L'exemple
qui devrait toujours nous conduire, même dans les moments les plus douloureux
et révoltants, à ne jamais renoncer aux valeurs qui font de nous des hommes
libres et dignes.
Au
contraire de cet exemple, il n'y avait aucune humanité dans l'attentat qui a
visé Charlie Hebdo. Tout comme il n'y en a aucune en Somalie, au
Nigéria, en Syrie, et dans tous les pays ravagés par les islamistes. Pas plus
d'ailleurs qu'il n'y en a en Palestine.
J'avais
acheté le numéro représentant les caricatures de Mahomet, pour soutenir
Charlie Hebdo, tout comme j'ai acheté Le mur de Dieudonné. J'avais
certes trouvé le contenu de Charlie vulgaire, mais je gardais mon estime
pour ces hommes prêts à défendre les valeurs de la liberté. Cette anecdote mise
à part, je connaissais mal ce journal, bien que certains de ses dessins aient
largement été repris.
Je
pensais publier ici la caricature de Mahomet disant : c'est dur d'être aimé
par des cons. Mais cela serait blessant pour les Libanais et les Syriens
musulmans qui se battent tous les jours contre les takfiris, notamment le
Hezbollah et l'armée arabe syrienne. Pour ceux qui suivent l'information, de
nombreux chiites yéménites sont morts ces derniers temps en combattant
Al-Quaïda au Yémén, le même Al-Quaïda qui a financé et formé les frères
Kouachi. Chiites yéménites que nous ne soutenons pas pour ne pas donner
l'impression de collaborer avec l'Iran. Mais il y a bien un moment où nous
devrons arrêter cette diplomatie ambigüe si nous voulons défendre nos intérêts
nationaux et nos ressortissants.
Bien
que Cabu ne soit plus là pour soutenir la contradiction, je ne pense pas que ce
soit dur d'être aimé par des cons, car il n'y a pas d'amour dans la dévotion
des esprits fanatiques. Seulement de la colère et de la haine.
Parmi
les différents dessinateurs assassinés, je ne connaissais que Cabu, qui venait
agrémenter de ses dessins les émissions de Récré A2, lorsque j'étais
enfant. Il venait, au milieu de Goldorak et des Watou Watou mettre
un brin de fantaisie, avec Jacky et les autres invités.
Puis
je suis devenu adolescent, et je n'osais plus dire que je regardais Récré A2
et Dorothée. Mais je continuais d'aimer Goldorak, jusqu'à ce que la vie se
charge de faire évoluer mes centres d'intérêt. C'est seulement en apprenant sa
mort que je me suis rappelé que je connaissais Cabu depuis mon enfance, et
qu'il avait contribué à me laisser des souvenirs heureux.
Au
risque d'aller à contre-courant, je ne suis pas Charlie. Je
suis, et je reste, Jean-Michel. Et c'est parce que je suis Jean-Michel que
je n'accepterai jamais de baisser la tête devant ceux qui voudraient contrôler
ma façon de penser et mes actes. Je n'accepterai jamais de renoncer à ma
liberté d'expression, et je défendrai celle des autres lorsqu'elle sera mise en
cause.
Je
suis d'ailleurs content de voir que le père Nicolas Kakavelakis me rejoint sur
ce point, lui qui a publié sur
le site de la communauté hellénique de Lyon un appel à défendre la liberté
d'expression et la satire. Du pain béni pour ceux qui, comme moi, diffusent leurs
textes sur internet, et desquels il a pris la fâcheuse habitude de se
plaindre... Pour une fois que nous sommes sûrs qu'il a réussi à faire du pain
béni, il convenait de le mettre à l'honneur !
Plus
sérieusement, les morts de cette semaine nous rappellent que la liberté a un
prix, mais également une saveur. La saveur du sel qui fait ressortir le goût
des aliments. Celle qui fait ressortir la valeur des instants que nous vivons.
Alors, pour 2015, je souhaite à tous de connaître cette saveur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire