de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 5 mai 2012

46- Kostas Patronis



Dimanche dernier, à la fin de la liturgie, le père Nicolas Kakavelakis a cru bon d'expliquer les raisons du départ de celui qui chantait les offices de notre église depuis de longues années. Il a dit que Kostas avait besoin de prendre un peu de recul à cause de ses 85 ans et que son départ n'était peut-être pas définitif. Pendant qu'il parlait, un vieux monsieur  se  disait  à  lui-même,  suffisamment  fort  pour  que  ses  voisins  l'entendent  : « Menteur ! » Il est donc intéressant de revenir sur tout ceci.
 


Kostas est un très bon chantre. Il vient d'Asie Mineure. Au début où il était à Lyon, il chantait dans la paroisse grecque-catholique (uniates) qui se trouvait à la Guillotière. Le prêtre de cette église avait aidé Kostas à obtenir ses papiers pour pouvoir rester en France. Monseigneur Vlassios est allé le chercher pour qu'il chante chez nous, sur l'intercession de monsieur Zagoridis, qui était le parrain de sa fille. C'était il y a 59 ans

La paroisse lui avait proposé 10000 francs pour qu'il vienne chanter chez nous. Je me suis d'abord dit : « 10000 francs ? C'est beaucoup ! » Et puis je me suis rendu compte que c'était en 1953. En 1953, il y avait encore les anciens francs, jusqu'au 1er janvier 1960, où 10000 francs sont devenus 100 francs. Qui eux-mêmes sont devenus 15,24 euros le 1er janvier 1999.

Pourtant, malgré le fait que la somme n'était pas extraordinaire, des voix se sont élevées dans le comité de l'époque, et, finalement, Kostas n'a touché que 6000 francs. Cela ressemblait à une première trahison, mais Kostas est resté. 

Quelques années plus tard, la paroisse de Marseille lui a proposé une somme un peu plus élevée, et il est parti, avec la frustration qui naît des engagements non tenus. Monseigneur Vlassios est à nouveau intervenu et a réussi à le faire revenir à Lyon. 

Quand le père Athanase est venu pour aider monseigneur Vlassios, en 1976, il y avait donc déjà 18 ans que Kostas chantait chez nous. 

Il y a souvent eu des tensions entre le père Athanase et Kostas : les deux chantaient très bien mais n'avaient pas appris dans les mêmes écoles et avaient des styles différents. Il y a certainement eu des tensions autres que sur le chant, mais je ne les connais pas suffisamment pour me permettre d'en parler. Malgré cela, le père Athanase n'a jamais cherché à imposer sa façon de voir à Kostas. Il n'a jamais cru non plus que son rôle de recteur lui permettait de se débarrasser de lui. 

Personnellement, je n'ai appris qu'il y avait eu des tensions ponctuelles entre eux que quelques mois avant le départ du père Athanase. Des tensions entre les personnes naissent dans toutes les communautés. C'est tout à leur honneur de les avoir surmontées et de s'être quittés dans la paix.

Lorsque le père Nicolas a pris la succession du père Athanase, il a dit, lors de la toute première réunion du comité à laquelle il a assisté, qu'il était anormal que le chantre soit payé, que c'était quelque chose d'unique en France, et qu'il allait y mettre fin.

Kostas a de très nombreux amis dans le comité, et il en a tout de suite été informé. Il a eu la sagesse de ne pas réagir, mais il s'est senti blessé à nouveau.

Évidemment, pour mettre quelqu'un dehors, il faut prévoir son remplacement. Le père Nicolas a donc mis en place des cours de chant et a demandé à Kostas de les animer. Kostas n'a pas trop apprécié qu'on lui demande de donner des cours gratuitement pour qu'il puisse être mis dehors plus vite. Il a dit qu'il était trop fatigué pour s'en occuper. 

Le père Nicolas a donc organisé lui-même ces cours, les jeudis soirs, les premiers mois où il était à Lyon. Au début, y allaient Caroline, Christos, Zoï, Alexandros, Manolis, Niki, et Jean-Luc. Bien sûr, ceux qui allaient à ces cours n'envisageaient pas de prendre la succession de Kostas. Ils essayaient surtout de mieux comprendre l'office. Les cours se sont arrêtés d'eux-mêmes après la défection progressive de tous les participants ; celui qui donnait les cours chantait trop faux pour que ceux qui y allaient puissent apprendre quelque chose.

Le cas de Kostas est souvent revenu dans les conversations, les jeudis soirs en question. Caroline, surtout, musicienne professionnelle, faisait remarquer au père Nicolas qu'elle-même ne pouvait pas venir régulièrement, à cause de son travail. Il était hors de question pour elle de prendre la place de Kostas et sa position était sans ambiguïté. Elle faisait également remarquer que Christos n'avait pas le niveau pour assumer le rôle de celui qui dirige un chœur. Christos a beaucoup de bonne volonté, ça se sent, et on ne peut que l'en féliciter, mais la bonne volonté ne remplace malheureusement pas le talent. 

Finalement, le père a gardé Kostas, en gardant néanmoins à l'esprit que Christos viendrait à le remplacer : « A défaut de grives, on mange des merles... »

Quand le père Athanase est parti, Kostas touchait 300 euros par mois. Il avait double salaire pour Pâques et Noël. Pour Noël, c'était une gratification ; pour Pâques, cela se justifiait par tous les longs offices qu'il fallait assumer les soirs entre le dimanche des Rameaux et la nuit de Pâques. 

Lorsque le père Nicolas a dit que c'était anormal qu'un chantre soit payé pour chanter à l'église, j'ai d'abord été d'accord avec lui. J'ignorais que le chantre était payé et, déontologiquement, la position du père Nicolas se défendait. Mais j'ai ensuite appris tout ce qu'un prêtre gagne. Je me suis alors demandé pourquoi il serait anormal que le chantre soit payé, si le prêtre, qui est au-dessus de lui et qui doit montrer l'exemple, l'est aussi ? Ne devait-il pas convenir que le prêtre renonce à son salaire, s'il voulait imposer au chantre d'en faire autant ?

L'affirmation que Kostas était le seul chantre en France a être payé me pose également problème. Si je décide de me marier, comme l'évêque sera content, il voudra célébrer l'office lui-même, à la cathédrale Saint-Étienne, rue Georges Bizet, à Paris. Est-ce que vous croyez vraiment que le chœur va venir chanter gratuitement à mon mariage ? 

L'exemple est mauvais ? Alors prenons le cas de l'un des lecteurs anonymes de ce blog qui voudrait se marier. Est-ce que le chœur viendra gratuitement ? Si le chœur (au moins le premier chantre) est payé dans d'autres paroisses, comme c'est très fréquemment le cas en Grèce, pourquoi mettre un anathème sur notre chantre qui ferait figure d'anachronisme ?

Admettons que le chœur de la métropole soit bénévole et que Kostas soit effectivement le seul a être payé. Le cas serait le même que celui de l'Alsace comparée au reste de la France : l’Église et l’État sont séparés en France, ce qui n’empêche pas les prêtres et pasteurs alsaciens de percevoir un salaire de l’État. C'est un droit particulier que leur a accordé Napoléon Ier lorsqu'il a pris l'Alsace aux Allemands : « Vous ne m'emmerdez pas et je vous garde vos droits. » Même si les historiens sont partagés sur la véracité de cette citation, le fait est qu'en droit français, une clause particulière à un contrat prévaut toujours sur les conditions générales. 

Dans notre paroisse, la clause particulière qui prévaut est l'accord donné à Kostas par monseigneur Vlassios.

J'ai entendu plusieurs histoires pour ce qui s'est passé ces derniers mois entre le père Nicolas et Kostas. Je vais les rapporter en précisant bien que je n'ai pas réussi à avoir la confirmation de la véracité de ces histoires. Si quelqu'un peut me les confirmer ou les infirmer, je corrigerai ce message en conséquence.

L'une d'elles dit que Kostas a été maintenu en poste, mais qu'il a vu passer son salaire de 300 euros à 200 euros.

L'autre dit que cette année, pour Pâques, au lieu de donner 300 euros à Kostas, on lui en a donné 50, sans préavis. Cela ne paie même pas l'essence pour qu'il se déplace tous les soirs.

Ce qui est sûr, c'est que c'est ma cousine, Pénélope, qui donnait son salaire à Kostas. Et Kostas en a eu assez qu'elle lui dise à chaque fois : « Laisses-en plus, laisses-en plus, la paroisse est en déficit. »

On peut bien sûr se demander pourquoi c'est la secrétaire de l'association qui donne son salaire aux uns et aux autres, alors que cela devrait être le trésorier. Comme, dans le même temps, elle ne convoque pas l'assemblée générale annuelle de l'association, il serait légitime de penser qu'elle a trop de travail et qu'elle devrait laisser la comptabilité au trésorier.

Kostas en a également eu assez que Caroline ne vienne plus chanter. Il l'aimait beaucoup et aimait beaucoup le petit Silouane qui venait lui chiper ses bonbons juste avant la communion. Il trouvait qu'une partie de la vie de la paroisse avait disparu avec le départ de Caroline et des enfants. Il m'avait souvent dit : " Je ne suis jamais allé à aucune réunion, mais si l'évêque vient pour régler les problèmes, je vais aller à cette réunion. " L'évêque n'a jamais organisé la réunion que Kostas attendait.

Nicolas C. a raconté, sur la page facebook des amis la communauté grecque de Lyon, qu'il gère, comment Kostas est parti, le soir de Pâques, après son dernier office, dans un mépris total de la part du père et du comité. Cet hommage a rendu le père Nicolas furieux. Je raconterai cette histoire dans un prochain message. Il me semble qu'il aurait été plus sage de la part du père Nicolas de remercier ce jeune de ne pas avoir dit toute la vérité sur les dessous du départ de Kostas. Comment il ne supportait plus d'entendre un prêtre chanter tellement faux et se tromper si souvent dans le déroulement de l'office.

En 59 ans, Kostas n'a jamais manqué un seul office. Pourtant, après son départ, le jour de Pâques, il a promis qu'il ne remettrait plus les pieds dans cette église. Il a même refusé de venir pour l'office des 40 jours de la mort d'Eleftherios Sereslis, qui avait chanté avec lui pendant toutes ces années.

Ce n'est pas l'argent qui motivait Kostas. Il est venu chanter gratuitement pour le baptême de mes enfants, et il venait chaque fois qu'on le lui demandait. Il disait que chanter était toute sa vie. Ce qui est sûr, c'est que personne n'oubliera ce qu'il a fait pour notre église et l'amour qu'il a donné. Y a-t-il quelque chose de plus important que de donner de la beauté et de l'amour à travers ce que l'on fait tous les jours ? 

Je terminerai par cette vidéo où l'on voit Kostas chanter, le soir du Jeudi Saint 2010.


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