de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 11 octobre 2014

132- Ilir

Du 4 au 18 août 2012, la famille D. partit en vacances. Ils choisirent comme lieu de villégiature la Toscane, à 40 km de la ville de Pise.

Accompagnés de la famille d'un cousin, ils louèrent la villa Virginia, à Camaiore.  L'endroit était accueillant et calme. Doté de tout le confort, d'espaces verts et d'une piscine privée, ils profitèrent de la tranquillité.
 
Villa Virginia

L'après-midi du 15 août, alors qu'un des parents préparait des crêpes, un autre se reposait, un troisième s'adonnait aux tâches ménagères, et le dernier, Cyrille, surveillait les enfants qui jouaient dans la piscine.

La piscine était large. Les enfants les plus grands faisaient un concours de plongeon avec des jeux, sur la droite de la photo, pendant que le plus petit était vers les escaliers, à gauche, un endroit où il avait pied. Ilir, 4 ans, sautait à l'eau avec sa bouée, et regagnait la rive pour sauter à nouveau.

Cyrille regardait, bien sûr, Ilir qui s'amusait. Rassuré de le voir jouer tranquillement, son attention fut captée par les jeux des deux aînés dont il arbitrait le concours.

Au bout de plusieurs minutes, Cyrille tourna la tête vers Ilir. Il le vit au fond de la piscine, totalement immobile. Personne ne pouvant dire depuis combien de temps il était ainsi.

 Cyrille se précipita vers lui, plongea et le remonta. Mais Ilir ne bougeait plus. Cyrille commença un massage cardiaque instinctif, et lui plaça la tête sur le côté, pour que l'eau s'évacue.

Pendant ce temps, les enfants les plus grands coururent prévenir les parents pour qu'ils alertent les secours. Mais les téléphones portables ne passaient pas dans ce lieu calme et paisible. Le père courut chez des voisins, à environ 1km, sans prendre le temps de mettre des chaussures, en quête d'un téléphone fixe.

Il arriva les pieds en sang et appela.

Pendant ce temps, la mère, abandonnant les crêpes qu'elle préparait, se précipitait vers son fils.

Aide-soignante en hôpital gériatrique, elle avait déjà vu quantité de situations d'urgence. Quand elle arriva, voyant son fils tout bleu, déjà marbré, elle sut qu'il était mort. 

Le temps n'en finissait pas et Cyrille continuait son massage cardiaque. La mère parlait à son fils en lui disant de revenir. Effondrée, elle finit par dire à Cyrille : Pourquoi tu continues, tu ne vois pas qu'il est mort ? Mais Cyrille continuait. Comment pourrait-il vivre après cela, alors qu'Ilir était sous sa garde ?

Les pensées sont volatiles et entraînent l'esprit dans des méandres insondables. Des moines passent parfois leur vie entière à essayer de fixer leurs pensées sans toutefois y parvenir. Il n'y avait aucune faute à l'attitude de Cyrille, d'autant que que l'enfant avait coulé en silence. Mais la culpabilité est un fardeau pesant dont, bien souvent, on ne peut se défaire.
 
Au bout d'un moment, personne ne pouvant dire combien il dura exactement, l'eau commença à sortir de partout : par la bouche, le nez et les oreilles, mais en petites quantités.

Peu après, l'équivalent italien du SAMU arriva. Le médecin mit tout de suite Ilir dans l'ambulance pour prendre en charge la suite des soins. Il reprit le massage cardiaque et lui appliqua un masque à oxygène. Un moment plus tard, Ilir vomit beaucoup d'eau et des restes de son précédent repas. Après d'autres efforts, il finit par revenir à lui en pleurant.

On le conduisit alors à l'hôpital pour faire des tests et le garder en observation. Il fallait tout de suite contrôler les dommages créés sur le cerveau par l'absence d'oxygène car il pouvait y avoir de graves séquelles motrices ou cérébrales.

Le SAMU venait de Camaiore. Il était arrivé quelques minutes après avoir reçu l'alerte. Si l'on rajoute à cette attente le temps passé sous l'eau, le temps qu'il fallut pour trouver un téléphone, et le temps des soins avant qu'il ne vomisse, on peut estimer qu'Ilir est resté entre 15 et 20 minutes totalement noyé. Mais peu importe le temps précis, car il est impossible de vivre après être resté si longtemps sans oxygène.

En général, les lésions au cerveau sont immédiates à partir du moment où il n'est plus irrigué. Et Ilir était resté très longtemps totalement rempli d'eau par tous les pores de sa peau. Le processus de noyade est clairement expliqué ici : en restant 1 minute sous l'eau, il y a 95% de récupération ; à 6 minutes, 25 % de récupération ; à 8 minutes, plus que 3 % ; mais à 15 minutes ou plus ?

Le médecin commença des tests tout de suite, en lui posant des questions simples. Comment s'appelait-il ? Comment s'appelaient ses parents ? Et ses frères ? Et ceux qui étaient avec lui en vacances ? Est-ce qu'il savait compter ? Connaissait-il l'alphabet ? Est-ce qu'il reconnaissait ses parents qui étaient dans l'ambulance ? Il fut surpris de voir qu'il pouvait répondre à toutes les questions.

Ilir passa deux nuits en observation à l’hôpital, accompagné de son père qui parlait italien, sans qu'aucune séquelle ne soit constatée, là encore. Les médecins effectuèrent tous les examens nécessaires : IRM, prise de sang... Ilir retourna à la maison le surlendemain. Il est aujourd'hui en CP et aucune complication, aucun trouble ou retard quelconque ne sont apparus.

Sa mère m'a dit qu'elle a vu son fils mort, et qu'il est ressuscité. Elle rend grâce à Dieu tous les jours et attend actuellement son quatrième enfant.

Ilir se rappelait très bien comment il avait sauté à l'eau, comment il était passé à travers sa bouée qui n'était pas assez gonflée, et comment il a coulé, entraîné par son élan là où il n'avait plus pied. Il avait l'impression que ça lui piquait dans la tête, ce qui est une réaction normale d'après les médecins. Ici, pas de lumière au bout du tunnel, juste un voile noir qui tombe sur les yeux comme le sommeil qui emporte la conscience. Ilir se souvenait également de la voix de sa mère qui lui parlait pendant que Cyrille le massait, tout comme de la sirène de l'ambulance qui était venue le chercher.

Ilir reste traumatisé par l'idée de mettre sa tête sous l'eau, même pour une douche. Et lorsqu'il entend une ambulance, il demande qui s'est noyé. Mais il continue à aimer l'eau. Il a seulement prévenu ses parents qu'il ne voudrait plus de bouée rouge, parce que les bouées rouges étaient vraiment nulles. Il voudra une bouée bleue !

Sur le chemin qui les conduisait à l'hôpital, les parents qui étaient avec l'enfant dans l'ambulance se souviennent d'avoir vu toutes les églises illuminées pour le 15 août, jour où l'on célèbre la Dormition de la Mère de Dieu


La famille D. fait partie de toutes les familles que le père Nicolas Kakavelakis a chassées lorsqu'il a commencé à ostraciser ceux qui n'acceptaient pas ses dérives. Il y a maintenant quatre ans qu'ils ne sont pas retournés à l'église. Pourtant, au-delà des dérives d'un clergé corrompu, Dieu garde sa bienveillance et sa miséricorde sur son peuple.

Je tiens ce récit de la bouche des protagonistes eux-mêmes. Je connais bien Ilir pour en être le parrain.

Alors pourquoi Yannis, dont nous avons vu l'histoire dans le message précédent, est-il mort dans la chaleur de sa voiture alors qu'Ilir a survécu après être resté aussi longtemps privé d'oxygène ? Pourquoi le père d'Ilir, qui avait été dans la même classe que la mère de Yannis, n'a-t-il pas été traité de la même manière qu'elle ? Je ne sais pas. Et la joie que je partage avec la mère d'Ilir n'efface en rien la tristesse que j'éprouve avec celle de Yannis. Mais j'ai vu trop de choses pour considérer qu'il n'y a pas une force bienveillante qui veille au salut des hommes, même si les chemins qu'elle emprunte restent bien souvent incompréhensibles.

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