de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 4 octobre 2014

130- Stylianos

Les monastères voient souvent des personnes en quête de ressourcement passer quelques jours à leur contact. C'était le cas d'Evangelos, un jeune homme grec d'une trentaine d'années, qui arriva un jour au monastère du père Placide, dans le Vercors.

Ce jeune homme se plut au monastère et s'installa dans le village voisin. Ses connaissances en mécanique permirent de changer le moteur d'une voiture, et d'effectuer de nombreuses autres réparations, faisant ainsi économiser au monastère des sommes substantielles. Il était débrouillard ; toujours de bonne humeur et de bonne volonté.

Il resta là plusieurs mois, à partager autant qu'il le pouvait la vie du monastère. 

Un jour, un autre Grec arriva pour rendre visite au monastère. Stylianos avait une soixantaine d'années, tout comme sa femme Catherine. A chacune de leurs visites, ils avaient à cœur d'offrir un cadeau précieux pour que le monastère puisse se développer.

Ils offrirent ainsi, au fil des ans, l'installation de chauffage au sol de l'église du monastère ; le carrelage de l'église et sa pose ; un échafaudage très sophistiqué pour la réalisation des fresques qu'un iconographe russe devait réaliser ; le polyéléos, lustre majestueux qui symbolise la danse de l'univers lors des offices festifs ; etc.



Stylianos rencontra Evangelos dans l'église du monastère. Lorsqu'il le vit, il se mit dans une violente colère qui me laissa décontenancé. Cet accès soudain, tellement éloigné de l'homme posé et affable que tout le monde connaissait, m'obligea à m'interposer. 

Je m'occupais alors de recevoir les hôtes et essayais de lui dire que ce n'était pas le lieu de cette dispute. Que même s'il y avait des différents entre eux, il fallait les oublier.

Stylianos connaissait ma mère depuis très longtemps et avait de l'affection pour moi. Il me dit alors, avec des larmes dans les yeux : il a tué mon fils

Qu'est-ce que l'on peut dire quand on entend une chose comme ça ? Il n'y a rien à dire. Juste à écouter si la personne a envie de parler. Il m'expliqua que son fils, Athanase, était mort d'une overdose de drogue et qu'Evangelos était celui qui lui vendait cette drogue. 

Je n'avais pas de conseils à donner. Ce n'était pas mon rôle. Mais il y avait une conversation, devenue soudain très lourde, à assumer. On parle alors des valeurs qui sont les nôtres, comme le pardon ou le repentir. Mais, en y réfléchissant avec du recul, les mots devaient sembler totalement creux pour Stylianos. 

Pour que des mots puissent toucher et apporter un réconfort, ils doivent entrer en résonance avec ce dont la personne a besoin et ce qu'elle a vécu. Et si on n'a pas soi-même vécu une expérience similaire, rien de ce que l'on pourra dire n'aura de sens. Je regrette chacun des mots que j'ai dits. A ce moment-là, rien ne pouvait consoler Stylianos.

Celui qui perd un enfant voit son cœur transpercé, et cette blessure ne pourra jamais se refermer.

Je crois qu'Evangelos avait un vrai repentir de ce qu'il avait fait. S'il n'en avait jamais parlé, c'est l'absolution de ses actes passés qu'il cherchait en venant au monastère. Mais, s'il est possible de se faire pardonner d'avoir détruit une chose que l'on peut remplacer, comment rendre une vie que l'on a ôtée ? La confession ne règle rien, car si elle permet de prendre conscience de ce que l'on a fait et de ne plus le reproduire, elle ne permet pas de réparer le mal causé. Et pourtant, c'est bien lorsqu'il a décidé de réparer le mal qu'il avait fait que Zachée s'est vu entendre : Aujourd'hui, le salut est entré dans cette maison (Lc 19, 9).

Où trouver, pour un père pieux et intègre, le sens de la mort de son enfant ? Et comment voir celui qui l'a tué en face de soi ? Comment accepter qu'il soit encore en vie alors que son fils ne l'est plus ? Comment comprendre que le monastère que l'on aide avec des cadeaux somptueux soit précisément celui qui accordera protection à celui qui lui a brisé le cœur ?

Evangelos était un homme ayant profondément évolué dans sa vie. Le remords de ses actions passées le tourmentait et je crois qu'il se serait laissé tuer sans rien dire si Stylianos était allé au bout de sa colère. Mais quels que soient les changements qu'il ait apportés dans sa vie, il n'aurait jamais pu rendre la vie qu'il avait prise.

La vie d'Evangelos, que Stylianos aurait légitimement pu réclamer, ne lui aurait jamais rendue celle de son fils. Elle n'aurait fait qu'ajouter la douleur à la douleur. 

Je crois aujourd'hui qu'une force mystérieuse avait conduit ces deux hommes dans cette église, que l'un embellissait par ses dons, et dans laquelle l'autre cherchait le salut.

Cette force montrait à l'un que la rédemption qu'il cherchait ne pouvait venir que du père de l'enfant dont il avait pris la vie. Elle montrait à l'autre que le but ultime des dons qu'il faisait était de construire un monde meilleur, mais que ce monde ne pouvait exister sans le pardon qui permet à l'homme sincère de se relever. Pardon nécessaire non pas pour donner un sens à une mort qui n'en avait pas, mais pour que la vie puisse à nouveau fleurir sur le tronc brûlé.
 


Mais ce que je crois n'a pas d'importance ; c'est ce que ces deux hommes ont vécu qui en a. Même si j'en doute, j'espère qu'ils ont fini par trouver la paix qu'ils cherchaient tous les deux, par des chemins opposés, mais qui conduisent inéluctablement à la même destination.

1 commentaire: