Les enquêteurs estiment que l'attentat contre les ingénieurs français à Karachi a été facilité parce que les déplacements de ces derniers étaient prévisibles : toujours les mêmes horaires, toujours le même parcours, toujours le même bus... Il y eut quatorze morts et nous cherchons encore aujourd'hui les responsables. Être prévisible est un handicap.
Le père Nicolas Kakavelakis avait décidé de prendre un vigile pour bloquer l'accès de l'église grecque de Lyon à certains de ses membres. Il était là le dimanche 14 décembre 2014 et nous savions qu'il serait désormais présent tous les dimanches. Mais les membres concernés seraient-ils prévisibles au point de se présenter devant l'église uniquement lorsque le vigile serait là ? Et le père Nicolas, était-il prévisible au point de ne prendre un vigile qu'à partir de l'heure supposée d'arrivée des membres qu'il voulait exclure ? Qui était concerné par cette volonté d'exclusion ? Et que se passerait-il si les personnes en question étaient déjà présentes dans l'église lorsque le vigile viendrait prendre ses fonctions ?
Je savais que j'étais sur la liste des exclus, notamment à cause de l'existence de ce blog. D'un naturel un peu espiègle, je décidais de répondre à ces questions par moi-même et d'aller écouter Paix-à-tous-le-Bien-Nommé non vers 11h30, mais au début de l'office, vers 9h30. Un ami grec m'accompagna.
Arrivé devant l'église, il s'avérait une fois encore que le père Nicolas s'était montré prévisible : point de vigile à cette heure matinale ! La seule protection contre les forces démoniaques était les icônes, ce qui devait suffire en un lieu où chacun est seul avec sa conscience devant Dieu.
Oubliant que l’Époux vient comme un voleur au milieu de la nuit (Matth. 25, 1-13), et qu'il convient d'être toujours prêt pour L'accueillir, les membres du clergé qui étaient présents (Christos K. et le père Nicolas), se mirent à s'agiter en nous voyant entrer : ils n'étaient pas prêts...
Je tiens ici à rassurer le lecteur en précisant que je ne suis pas l’Époux. Pas plus d'ailleurs que le père Nicolas n'est Père. Mais j'étais incontestablement celui qu'ils attendaient, ou qu'ils n'attendaient pas ! Toutes les phrases entendues dans la semaine précédente, qui affirmaient que je n'entrerais plus dans l'église, perdaient soudainement leur sens, rendant dubitatifs ceux qui avaient pu y croire.
Christos K. vint m'apostropher pour dire que le Conseil avait décidé de mon exclusion et que je devais sortir. Nous avons vu dans le message précédent que le Conseil n'avait rien décidé. Nous avions même la main courante d'un élu pour en attester. Mais quand bien même l'aurait-il fait, sa décision aurait-elle eu une valeur ? Si le Conseil décidait de rétablir la peine de mort, fut-ce à l'unanimité de ses 15 membres, sa décision aurait-elle une valeur ? Bien sûr que non, car aucune décision prise par une entité, quelle que soit cette entité, ne peut aller à l'encontre du droit français. Et, en l'espèce, le droit français veut que les lieux de culte soient ouverts à tous.
L'église n'étant pas le lieu pour débattre de ce genre d'ineptie, je ne répondis rien et restai à ma place pour suivre l'office. Mais Christos K. poursuivait ses invectives, sans respect pour le lieu où il était ni pour l'office auquel il participait. Devant mon silence méditatif, il finit par dire qu'il allait appeler la police. Ce à quoi j'ai fini par répondre : Appelle.
La police allait-elle venir ? Rien n'était moins sûr. Mais s'il fallait en passer par là pour mettre fin aux dérives sectaires d'enfermement mises en pratique par notre clergé local, alors j'étais prêt à le faire. Ce n'était plus de la curiosité, mais une volonté de crever cet abcès qui nous gangrène depuis trop longtemps.
Nikos était tout autant décontenancé que son comparse. Il s'agitait dans le sanctuaire et essaya de téléphoner au vigile pour qu'il vienne d'urgence. Je pense qu'il ne réussit pas à le joindre et l'office se poursuivit. Bien qu'habituellement ce soient les fidèles qui trouvent l'office trop long, les pénibles minutes d'un office qui n'en finissait pas s'égrenaient avec une désespérante lenteur pour le père Nicolas.
Arrivé à la 8ème ode du canon des matines, le père sortit du sanctuaire pour l'encensement. Comme le veut la Tradition, il commença par encenser l’icône du Christ de l'iconostase, puis celle de la Mère de Dieu, suivi du trône de l'évêque. Suit l'encensement de l'icône à droite sur le devant de la nef, représentant le saint du jour, puis celle de gauche, représentant le saint patron de l'église. Sont ensuite encensés le chœur de droite, suivi du chœur de gauche, puis de l'assistance en faisant le tour de l'église dans le sens des aiguilles d'une montre. Dans ce rituel millénaire, le père Nicolas s'avança jusqu'au fond de l'église, où nous étions.
Arrivé au niveau de Dimitri L., son visage se figea dans une expression de haine qu'il ne parvint plus à contenir. Il arrêta son mouvement d'encensement et projeta son épaule gauche dans le but manifeste de renverser Dimitri et de le blesser.
Il y a des lieux où les forces maléfiques n'ont aucun pouvoir, si ce n'est celui d'égarer les esprits qui se sont laissés submergés par elles. Il n'était pas venu le moment où Dimitri serait blessé pour avoir assisté à l'office divin. À l'instant même où le père Nicolas devint violent, Dimitri se tourna, l'attention captée par une chose dont il ne se souvint pas par la suite. Ce mouvement fit que le père Nicolas se trouva déséquilibré et faillit tomber.
Possédé par autre chose que l'esprit de paix qui doit guider les offices orthodoxes, le père Nicolas se mit face à nous et nous encensa plusieurs minutes en vociférant : Vous êtes des diables, l'encens va vous faire partir ! ; Vous êtes des bons chrétiens hein ? Prenez alors cette bénédiction ! ; Prenez, vagabonds, et toi, en se tournant vers Dimitri et en essayant de le taper avec l'encensoir, vagabond ! Salaud ! (Πάρτε, αλήτες ... Και σύ, αλήτη ! Βρωμιάρη !).
J'aurais pu répondre que l'encens n'avait pas réussi à le faire partir lui, mais ce n'était ni le lieu, ni le moment de provoquer. Je préférais le laisser à sa colère, attendant patiemment qu'elle retombe pour qu'il revienne à la raison, et baissai la tête comme il est d'usage.
Lors de l'office des vêpres, l’Église orthodoxe reprend le psaume 140. Ce psaume est chanté avec beaucoup d'ornements lors des grandes fêtes.
Ce psaume de David reprend en une phrase toute la symbolique de l'encens dans la spiritualité chrétienne : Que ma prière monte devant toi comme l'encens, l'élévation de mes mains comme le sacrifice du soir.
Bien avant l'avènement du Christ, le roi David préfigurait ainsi que l'élévation des mains était appelée à remplacer les sacrifices dans la louange de l'homme envers son Dieu. Or il n'y a pas d'élévation dans un coup d'épaule. Seulement une chute.
L'encens n'est pas là pour chasser quiconque. Il est là pour manifester l'élévation de la prière. Le père Nicolas n'avait-il que des insultes à proférer dans sa prière ? Était-ce cela qu'il voulait porter devant Dieu ? Ne savait-il pas que ces insultes montaient vers Lui au moment même où il les proféraient ? Était-il ignorant des choses de Dieu au point de ne pas respecter le moment qu'il célébrait ?
Saint Porphyre rappelle que Saint Macaire priait avec intensité, de toute son âme, et de tout son cœur et de tout son esprit. [...] C'est ainsi qu'il pouvait lever la main et que celle-ci restait là, immobile, sous l'effet de l'intensité. C'est de la même manière que quelqu'un qui profère une malédiction en levant la main peut faire le mal. (Saint Porphyre, Vie et paroles, éd. L'âge d'homme, Lausanne, 2009, p. 171)
Les personnes qui profèrent ce genre de malédiction oublient qu'elle retourne généralement sur la tête de celui qui en est l'auteur (Matth. 10, 13).
Les personnes qui profèrent ce genre de malédiction oublient qu'elle retourne généralement sur la tête de celui qui en est l'auteur (Matth. 10, 13).
Une fois sa petite crise passée, il s'éloigna pour la suite de l'office qui l'attendait.
Quelques amis arrivèrent petit à petit. Notamment des personnes plus âgées qui aiment assister à l'office des matines. Elles venaient nous saluer dans le fond de l'église où nous étions, avec ce regard dont la curiosité exprimée débordait dans leur question : Ils vous ont laissé rentrer ? Il était aisé de percevoir, à la fierté de leur ton, qu'elles étaient heureuses qu'il en soit ainsi.
Ce n'est que vers 10h30 que le vigile arriva. Il posa son casque de scooter derrière le meuble des cierges, à l'entrée, passa devant nous et se dirigea vers Christos K. À sa salutation, il se vit répondre, dans un ton d'impuissance mêlé de désappointement : Il est déjà là !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire