Il y a quelques semaines, j'ai pris un auto-stoppeur. Ce jeune-homme était petit-fils de pasteur. Élevé de façon stricte, dans le respect des règles établies. Pour son grand-père, Dieu est Ordre. L'ordre implique la hiérarchie dont découle l'obéissance par soumission à l'autorité en place, vue comme une émanation de l'autorité divine qui a Pouvoir sur toutes choses.
Il m'a regardé avec curiosité lorsque je lui ai dit qu'il était évident que Dieu est anarchiste, et il a voulu en savoir plus.
Le jeune-homme de mon histoire,
révolté contre son grand-père et contre l'Autorité, souvent injuste,
partiale, abusive, discriminatoire et j'en passe, était devenu
anarchiste. Il avait un regard très critique sur ce Dieu autoritariste
de son grand-père.
Il m'a regardé avec curiosité lorsque je lui ai dit qu'il était évident que Dieu est anarchiste, et il a voulu en savoir plus.
La vision d'un Dieu autoritaire, voire autoritariste, est largement répandue dans le monde. Elle s'exprime, par exemple, dans Les chariots de feu. A la vingtième minute du film, alors que les étudiants se préparent aux Jeux Olympiques, une scène montre la sortie d'une église et deux personnages ont cette discussion :
Le royaume de Dieu n'est pas une démocratie ! Le Seigneur ne cherche pas à être réélu. Il n'y a pas de discussion, de délibération, de référendum pour savoir la route à prendre. Il y en a une bonne, une mauvaise. C'est un souverain absolu.
Un dictateur, vous voulez dire !
Oui... Mais un dictateur bienveillant et aimant.
Que faites-vous de la liberté du choix ?
Mais tu as le choix Sandy ! Personne ne te force à le suivre.
Le royaume de Dieu n'est pas une démocratie ! Le Seigneur ne cherche pas à être réélu. Il n'y a pas de discussion, de délibération, de référendum pour savoir la route à prendre. Il y en a une bonne, une mauvaise. C'est un souverain absolu.
Un dictateur, vous voulez dire !
Oui... Mais un dictateur bienveillant et aimant.
Que faites-vous de la liberté du choix ?
Mais tu as le choix Sandy ! Personne ne te force à le suivre.
C'est ainsi que la forme de gouvernance présentée comme la plus proche de la pensée divine a été, au cours de l'Histoire, la monarchie. Nous ne comptons plus les rois de l'Ancien Testament, les rois de France, les empereurs d'Orient ou d'Occident ou les tsars qui se sont présentés comme l'émanation de cette autorité divine absolue. Tous ces monarques étaient d'ailleurs dans la continuité des souverains de l’Égypte antique ou des dynasties chinoises, où le chef suprême était l'égal d'un dieu, et ce bien avant la culture judéo-chrétienne.
L'anarchie se définit comme l'absence de toute forme d'autorité. Il ne s'agit pas d'une absence de règles, ou d'une désintégration des normes, qui serait alors une anomie, mais d'une absence d'autorité au sein d'un monde dans lequel chacun ne serait poussé que par sa conscience et sa liberté.
Il serait possible de considérer qu'Adam, au Paradis, vivait dans une forme d'anarchie, puisqu'il y faisait ce qu'il voulait, à condition de ne pas goûter au fruit de la connaissance du bien et du mal. Mais vu qu'il y vivait seul, l'exemple ne serait pas très évocateur. Et lui-même s'étant plaint d'être soumis à la femme (Gn 3, 12), il serait difficile de considérer qu'il n'y avait aucune forme d'autorité dans le Paradis originel.
Plaisanterie mise à part, et pour avoir un exemple plus probant, il faut sauter les siècles jusqu'à l'époque où le peuple d'Israël, conduit par Moïse, traverse le Jourdain pour entrer en terre promise.
Moïse donne alors au peuple la Loi que Dieu grava sur le mont Sinaï. Ces préceptes divins, plus connus sous le nom de Dix commandements, sont complétés par des lois plus élaborées décrites dans le Pentateuque.
Pourtant, malgré les nombreuses lois qu'il laissa à son peuple pour le guider dans la voie de la justice, Moïse ne lui organisa aucune autorité. Seul un juge était chargé de régler les conflits qui pouvaient apparaitre. Mais personne pour commander personne.
Ce n'est que bien plus tard que les Hébreux réclamèrent un chef à Samuel (1Sam. 8), qui était juge à cette époque. Tous les anciens d'Israël s'assemblèrent, et vinrent auprès de Samuel à Rama. Ils lui dirent : Voici, tu es vieux, et tes fils ne marchent point sur tes traces ; maintenant, établis sur nous un roi pour nous juger, comme il y en a chez toutes les nations (Id.).
Samuel pria et Dieu lui dit : Ce n'est pas toi qu'ils rejettent, c'est moi qu'ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux (Id.).
Puis vient une longue description de ce que seront les prérogatives du roi qu'ils réclament : autorité, armée et impôts sont les principales plaies associées à cette autorité que Dieu présente comme étant une déviation de sa volonté et du bien qu'il veut pour les hommes.
C'est ainsi que, par la crainte d'avoir des juges corrompus, les juifs choisirent un roi pour les gouverner. Rois qui devinrent très vite encore plus corrompus. La corruption évoquée n'ayant pas disparu avec le changement de régime, il s'avéra donc qu'elle n'était qu'un prétexte pour se défaire des juges. L'histoire des rois et des prophètes raconte par le détail cette évolution qui aboutit à trois déportations au fil des siècles.
C'est d'ailleurs pour cela que les juifs orthodoxes ne considèrent pas qu'ils doivent exister au sein d'un État constitué car, depuis l'époque de Samuel, l'autorité des rois qui s'impose à leur peuple est perçue comme un rejet de l'autorité divine qui guide chacun dans son cœur et sa conscience. Passer des juges aux rois revenait à passer d'un statut d'obéissance libre à la Loi, écrite pour le bien des hommes, à un statut d'obéissance par soumission à une autorité constituée, que cette autorité soit juste ou injuste.
C'est pour la même raison que les juifs orthodoxes d'aujourd'hui sont les premiers à rejeter le sionisme et leur existence au sein de l’État d'Israël qui ne serait qu'à eux.
Juifs orthodoxes mettant le feu au drapeau d'Israël, Anvers, Belgique |
La vision de l'autorité professée et illustrée par le Christ est très proche de celle des prophètes de l'Ancien Testament.
C'est ainsi que le Christ dit à Pilate : Je suis roi (Jn 18, 37). Et encore : Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres (Jn 13, 14). Ou bien : Vous n'êtes plus mes serviteurs, mais mes amis (Jn 15, 15). Ou encore : Les rois des nations les maîtrisent, et ceux qui les dominent sont appelés bienfaiteurs. Qu'il n'en soit pas de même pour vous, mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert (Lc 22, 25-26).
Cette vision, où le Pouvoir n'a d'autre finalité que d'être au service de ses égaux dans l'abnégation, et ne peut exister en tant qu'emprise autoritaire qui serait exercée sur les autres, est le fondement de tous les textes chrétiens évoquant le fonctionnement de la Jérusalem céleste.
Saint Paul la décrit comme un monde où Dieu est tout en tous (Col. 3, 11). Les Évangiles définissant Dieu comme un amour absolu qui donne sa vie pour ceux qu'il aime (Jn 15, 13).
Nous sommes ici très loin de la vision véhiculée par certains évêques ou certains dirigeants qui comptent asseoir leur autorité sur une population soumise et obéissante. Ce qui contribue à pervertir le message de l’Évangile par ceux-là mêmes qui sont censés le rendre vivant.
Pourtant, même si vivre sans être soumis à aucune forme d'autorité autre que sa propre conscience est une idée plaisante et profondément biblique, il faut deux choses pour que l'Anarchie fonctionne :
- une conscience claire du bien ;
- une volonté de tous de mettre en application cette conscience.
En Grèce, les anarchistes reprennent de la vigueur depuis le début de la crise économique. Ils se font régulièrement remarquer par des attentats ou des actions d'éclat. Si bien que nous voyons dans ce mouvement la dégénérescence d'une belle idéologie. Car l'anarchie ne peut fonctionner à l'échelle d'une société que par l'amour dont chacun serait rempli et qu'il voudrait voir rejaillir sur son entourage et dans ses actions.
Sans amour, l'anarchie n'est plus que la manifestation du chaos qui se traduit par la destruction et la souffrance. Ce qui en fait un modèle social totalement utopiste dans le monde qui nous entoure.
Mais le chaos, dont le mot anarchie est devenu synonyme, est-il forcément évité par une société basée sur l'ordre ? Sarkozy, qui n'était pas vraiment un anarchiste, a été l'instrument du chaos en Lybie lorsqu'il a fait détruire ce pays par nos forces armées, afin d'éliminer Kadhafi devenu dangereux pour lui. Je ne dis pas ici que Kadhafi est aussi saint que Jean-Paul II. Quoique ?... Mais je dis que nous avons détourné une résolution de l'ONU qui nous demandait de protéger les populations civiles par une zone de protection aérienne. Nous avons utilisé cette résolution comme prétexte d'intervention et sommes allés bombarder toutes les infrastructures du pays et sa population que nous étions censés protéger. Ce qui a conduit ce pays à être aujourd'hui exsangue économiquement et en situation de guerre civile.
Il y a malheureusement beaucoup trop d'exemples du chaos généré par les différents pouvoirs au fil des siècles. Chaos qui sont alors le fruit de la volonté d'asseoir encore davantage une autorité dominatrice. Si bien que l'OTAN, l'UMP, ou de nombreux autres sigles, sont aujourd'hui synonymes de chaos, tout autant que l'Anarchie.
Il convient donc de rester prudents sur les idéologies qui nous sont présentées, et de rester concentrés sur le seul véritable enjeu : quelles normes acceptons-nous de suivre, et sommes-nous prêts à rejeter ce qui vient s'opposer à notre conscience ?
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