de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 18 juin 2016

222- Repentir d'avocat et autres dérives



Caïn fut tourmenté jusque dans la tombe à cause de son crime. Sodome et Gomorrhe furent détruites pour les fautes de ses habitants (Gn. 19). Ainsi, dans l'Ancien Testament, Dieu est celui qui punit jusqu'à la troisième génération, et bénit jusqu'à la millième (Deut. 5, 9-10).
 
L'acte du juste est incomparablement supérieur au crime, mais celui-ci ne peut pas rester impuni. Cette punition peut être le fait de l'action des hommes ou de la main de Dieu, mais elle est inéluctable.
 
Ainsi, dans l’Évangile, les apôtres du Christ lui demandèrent si l'aveugle de naissance était né avec cette tare à cause de ses fautes, ou de celles de ses parents (Jn 9, 2). 

Le Christ est le premier à introduire la notion de pardon gratuit, sans contrepartie aucune. Il définit ce pouvoir comme celui propre à Dieu : Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés : Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit, et va dans ta maison (Matth. 9, 6).

L’Église introduira la notion de repentir comme condition indispensable au pardon. À ceci près que les offices orthodoxes prévoient parfois des prières d'absolution sans acte de repentir particulier de celui qui y participe. C'est notamment le cas pour l'office des vêpres de la Pentecôte (Vêpres de la génuflexion).

Les interactions entre le don gratuit de Dieu, le repentir du pécheur et la blessure causée par la faute commise ne sont pas toujours évidentes et nous y reviendrons dans le prochain message. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est la multitude des faux prétextes qui éloignent du repentir réel, ou l'empêchent.


Le père Placide Deseille, ancien moine cistercien érudit devenu orthodoxe, me disait qu'il est rare d'avoir devant soi un réel repentant, même en confession. Souvent, celui qui se confesse ne cherche que la prière d'absolution finale, et essaye d'éviter de parler de choses trop embarrassantes.

Ainsi, le pénitent évoquera-t-il de petites fautes anodines en omettant ce qui est vraiment important ; il se limitera aux difficultés qu'il rencontre dans sa vie au lieu de s'arrêter sur ce qu'il a fait ; il invoquera davantage les circonstances atténuantes qui l'ont conduites à commettre l'acte condamnable plutôt que celui-ci ; lorsqu'il ne fera pas simplement l'énumération des fautes de ses voisins en lieu et place des siennes... Il ira se confesser parce que le rite auquel il appartient l'impose avant la communion, comme chez les Russes, mais non par un repentir réel.

À d'autres époques, les chrétiens se faisaient baptiser le plus tard possible, pour que le baptême efface un maximum de fautes, de façon mécanique. Nombreux étaient ceux qui attendaient d'être sur leur lit de mort pour cela. Sans parler des indulgences vendues par le pape au Moyen-Âge, destinées à obtenir une rémission des fautes commises.

Pratique qu'on a vu encore tout récemment, puisque le pape François a accordé une indulgence plénière aux abonnés de son compte twitter. Concrètement, le temps que les pécheurs passeront au purgatoire après leur mort sera réduit pour ceux qui auront été abonnés au compte twitter du Vatican... De quoi faire sourire les historiens qui étudieront notre époque.

Daniel Balavoine dénonça cette attitude lorsqu'il chanta : Alors je serai vieux et je pourrai crever ; je me chercherai un Dieu pour tout me pardonner.

Toutes ces fausses repentances, ou repentances de circonstances, induisent pourtant une démarche personnelle qui peut éventuellement conduire à une introspection salutaire. Ainsi, celui qui ne parlera que de ses petites fautes en viendra peut-être à parler de ce qui lui pèse vraiment sur la conscience, etc. Mais le pire de tous les faux repentirs est le repentir d'avocat, car il éloigne de la manifestation de la vérité et empêche l'homme de regarder ses fautes en face pour s'en délivrer.


Une affaire a marqué l'actualité, celle de Duch, l'enseignant révolutionnaire converti au catholicisme. Kang Kek Ieu, alias Duch, était le chef du camp d'extermination des Khmer Rouges S21. Officiellement, 12272 personnes moururent sous son commandement et lui-même fut de la plus grande cruauté. Mais il lui est reproché la mort de plus de 40000 personnes ainsi que d'innombrables tortures. Un très bon résumé de l'affaire est disponible ici.

Lorsque le photographe anglais Nic Dunlop reconnaît Duch, celui-ci vit sous les traits d'un paisible paysan, dans un village cambodgien. Hanté par ses crimes, et alors que le bouddhisme lui promet un karma qui sera le reflet de sa vie, il préfère opter pour le catholicisme, qui l'absout de toutes ses fautes moyennant la récitation de 3 je vous salue Marie et 1 notre père (pénitence non-exhaustive...), oubliant au gré d'un signe de croix le regard des malheureux qu'il exécuta.

Une véritable conversion aurait conduit Duch à regarder ses crimes en face. Non pour réparer ce qui ne pouvait pas l'être, mais pour manifester la sincérité de son repentir et pouvoir s'incliner devant ses victimes ou leurs familles. Une personne qui dit craindre Dieu et son juste courroux ne saurait fuir la réalité des actes qu'il a conscience d'avoir commis, ni la condamnation qu'elle mérite.

L'exemple nous est montré par le larron sur la croix qui dit à son compère : Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est justice, car nous recevons ce qu'ont mérité nos crimes ; mais celui-ci n'a rien fait de mal (Lc 23, 40-41).

Pourtant, après avoir reconnu son identité réelle devant Nic Dunlop, Duch reviendra sur ses déclarations sur les conseils de son avocat. Il niera certains des faits qui lui seront reprochés, minimisera son implication, tentera de se dédouaner, et demandera même à ce que les Cambodgiens soient condamnés pour son arrestation et sa détention qu'il jugera non conforme aux principes des droits de l'homme.

Par le choix même de ce type de défense, ses avocats ne purent empêcher qu'il soit condamné à la prison à perpétuité ; ils ne mirent que mieux en évidence, au contraire, le côté dérisoire de cette conversion, par laquelle le converti ne reconnaissait ses fautes que de manière indirecte, et à condition qu'on ne lui en demande pas de comptes. En ceci, le rôle d'un avocat n'est pas compatible avec le repentir tel que la spiritualité chrétienne le conçoit. Il ne permet pas même, bien souvent, de fuir la justice des hommes, et rend indigne du pardon de Dieu qui fut accordé au larron sur la croix (Lc 23, 43).


Nous assistons aux mêmes mécanismes de défense humaine dans l'affaire du père Preynat. Le cardinal Barbarin a rapporté que le père Preynat avait en horreur les actes qu'il avait commis, mais ce dernier fait tout pour faire valoir la prescription de ses actes et ne pas avoir à en répondre devant la justice. Et lorsqu'il sera devant un juge, il tentera de faire valoir ses propres faiblesses, de minimiser ce qu'il a fait, de faire ressortir la responsabilité de ses supérieurs, sans affronter le regard de ses victimes et la gravité de ses crimes. Autant de signes qui manifestent l'absence de repentir tel que le christianisme le conçoit.


Il y a quelques jours, certains prêtres catholiques écrivirent aux victimes du père Preynat. Passons leur courage relatif traduit par leur lettre qui resta anonyme et regardons son contenu. Ils relèvent les multiples positions des chrétiens devant cette affaire et concluent : Face à ces positions aussi tranchées, la ligne de sagesse semble bien être celle adoptée par le Pape (qui n’a pas forcément la valeur d’un soutien, comme on a pu le faire croire) : s’en remettre à la justice qui examinera les faits et responsabilités du passé, pour porter un jugement de manière objective, neutre et dépassionnée.

Bien qu'ils soulignent dans la suite de leur lettre certaines interrogations légitimes à de telles procédures, ces prêtres occultent le point essentiel : ces procédures n'existent pas, aux yeux du clergé qui en fait l'apologie, pour manifester la vérité, mais pour tenter de fuir cette vérité qu'ils craignent et refusent d'affronter. Y compris pour le pape qu'ils prennent en référence.

Si le clergé ne craignait pas la vérité, il aurait soutenu les victimes depuis la première heure, les aurait indemnisées pour leur préjudice et aurait chassé de ses rangs les prêtres indignes qui gangrènent son institution. Mais, au lieu de cela, il utilise la justice comme ultime moyen de tenter de fuir ses responsabilités.

Loin d'être une ligne de sagesse, l'attitude du pape de Rome relève d'une grande indignité. 

Le pape accepterait-il que les chrétiens auxquels il s'adresse lorsqu'il condamne l'avortement lui répondent : Pourquoi condamnez-vous de tels actes ? Si vous n'êtes pas d'accord, portez plainte, et la justice tranchera sereinement sur ce que vous estimez être une faute. Pourquoi le pape condamne-t-il les divorcés, alors que ceux-ci n'enfreignent aucune loi ? Le pape a-t-il saisi les tribunaux avant de jeter ses anathèmes ?

Le problème est que, même au niveau du pape, le discours institutionnel est pétri d'hypocrisie. Il refuse de reconnaître aux lois des pays dans lesquels se trouvent les catholiques un caractère supérieur à celui des règles qu'il édicte. Mais lorsqu'il est lui-même mis devant ses crimes ou ceux de ses prêtres, alors, d'un coup, la justice humaine qu'il a tant décriée par ailleurs devient une planche de salut. Non pas de Salut au sens eschatologique du terme, qui ne l'intéresse pas outre mesure, mais comme moyen d'étouffer, une fois de plus, la Vérité qui se dresse devant lui et qu'il n'ose regarder.

Le jour où il osera regarder cette vérité et l'assumer, il ne se souciera plus de confier sa défense aux meilleurs avocats, mais adoptera l'attitude du larron sur la croix. Ce jour-là, il pourra aussi s'entendre dire que les portes du Paradis lui seront ouvertes. Mais ce jour n'est pas arrivé.

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