de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 26 mars 2016

210- Homélie du père Placide



Le 10 mars dernier, le site d'information Sky news annonçait détenir une liste de 22000 djihadistes de l’État islamique, avec les adresses, téléphones et autres informations concernant chacun d'eux. Une mine d'or pour les services de renseignement du monde entier.

Au même moment, à Lyon, nous restions sans nouvelles du père Nicolas Kakavelakis, depuis plusieurs semaines. Les explications les plus folles circulaient sur les causes réelles ou supposées de cette absence inédite. On entendit même avec amusement que son nom aurait été retrouvé sur la liste de ces 22000 fanatiques religieux sous le pseudonyme guerrier de Abou d'Souffle al Lyonaisi.

Il se disait encore que la police aurait enquêté et aurait retrouvé des écrits comportant des signes de radicalisation extrémiste. L'un d'eux était intitulé : L'évêque, c'est l'icône vivante du Christ !

À l'époque de tous les Barbarin et autres Emmanuel, il était inquiétant au plus haut point que des hommes tentent encore de faire croire de telles inepties et, plus grave encore, croient incurablement qu'elles puissent être vraies.  

L'avenir dira si le père Nicolas était vraiment sur la liste des 22000... Pour ma part, je me contenterai d'étudier ce fameux texte : L'évêque, c'est l'icône vivante du Christ ! (Annonce orthodoxe n° 33, sept. 2015, p. 6-7)



Avant de nous demander si le Christ serait allé passer ses vacances à Lesbos, s'il aurait maintenu en poste des prêtres pédophiles, ou encore de rechercher quelles influences ont conduit à ce texte, et de nous interroger sur ce qu'est une icône, nous allons voir ce qu'il contient. Son auteur, le père Placide Deseille, est un homme respectable que j'ai bien connu. Sa pensée ne se résume pas à ce titre trompeur.

Le Père Placide tire cette analogie des apôtres, choisis par le Christ pour le représenter, en tant que témoins de la Vérité. Les évêques, établis pour leur succéder, ont pour mission de prolonger ce témoignage des apôtres.

Le Christ, d'après ses dires, aurait voulu hiérarchiser l’Église. Certes, écrit-il, tous les chrétiens, s'ils sont fervents, ont un « sens de la foi » qui peut leur permettre de faire part aux évêques de certaines vérités qu'ils perçoivent, comme les Myrophores... Les femmes Myrophores, premières à voir le Christ ressuscité, n'auraient servi qu'à transmettre aux évêques (dont les apôtres étaient précurseurs) la nouvelle de la résurrection.

Mais, par la volonté du Christ, il y a dans l’Église les évêques, dont l'action est diffusée par les prêtres, et puis il y a tout le peuple chrétien.

Dans cette hiérarchie bien ordonnée, il précise tout de même que le peuple chrétien est le plus important, en ce sens que tout le ministère des évêques et de leurs auxiliaires est au service de la sanctification du peuple chrétien. Le but de l'action du corps apostolique étant que le Christ vive en chacun des fidèles.

On peut alors se demander pourquoi celui qui a reproduit cet article l'a intitulé l'évêque, c'est l'icône vivante du Christ, et non pas l'évêque est au service du peuple chrétien. Qu'est-ce qui pousse le clergé, à vouloir soumettre ses fidèles par la manipulation et le détournement des textes ? Qu'est qui pousse les fidèles à rester silencieux, ou à reproduire ces méthodes de conditionnement malsaines ?


Pour le père Placide, cet état d'icône vivante du Christ est immanent au clergé, et ce même en présence des pires crapules. Les évêques [...] ont pour tâche essentielle de sanctifier le peuple chrétien. C'est pour cela qu'ils sont comme les icônes vivantes du Christ, quelle que soit leur sainteté personnelle.


Le père Placide prend ensuite l'exemple d'un diocèse qui aurait eu à se plaindre de son évêque, et l'aurait fait savoir par une lettre ouverte. Il s'offusque de cette méthode et préconise de contacter l'évêque lui-même, ou le patriarche dont il dépend. La lettre ouverte était, selon lui, un procédé indigne, qui abaissait l'évêque au rang de simple fonctionnaire.


J'ai connu le père Placide plus inspiré dans ses homélies... Habituellement, il cite toujours les sources qui lui permettent de justifier ses propos. Ici, rien. Pas la moindre référence. Pas la moindre citation. Seulement une succession d'affirmations, comme autant d'axiomes qu'il lui serait impossible de démontrer.

Le père Placide m'a appris à toujours comprendre les choses par la lecture de l’Évangile. Il disait que les textes des Pères de l’Église, dont il est un grand connaisseur, sont humains, quelle que soit la sagesse de ces textes. Même un texte inspiré reste façonné par la personnalité de son rédacteur. Il n'y a qu'un seul Saint-Esprit, et pourtant aucun des apôtres n'a écrit les mêmes choses, ni ne les a écrites de la même manière.

Mais les mots du Christ, Logos vivifiant, sont divins. Ils sont la sève qui nourrit la sagesse des Pères. Et tout chrétien se doit en premier lieu de suivre ce que dit l’Évangile, et non ce que dit tel prêtre, ou tel évêque.

Bien qu'orthodoxe, le père Placide Deseille est un moine cistercien, entré au monastère à 16 ans. Cet érudit, habitué à l'ascèse, n'en a pas moins été formé par les textes catholiques et la tradition vaticane. D'où une influence dont il n'a pas su se défaire dans son rapport à l'Autorité qui préside aux destinées de l’Église.

J'ai entendu le père Placide dire à quel point cette volonté cléricale de vouloir tout hiérarchiser était destructrice de l'esprit vivifiant qui souffle sur l’Église. Notamment eu égard au rôle prédominant du Pape dont il ne reconnaissait plus l'autorité. Ou encore sur le rôle néfaste que les évêques avaient sur les monastères.

Il disait que les évêques ne s'occupent des monastères que lorsqu'ils ont besoin d'y puiser un moine pour l'envoyer desservir une paroisse. Qu'ils prennent des moines qui ne sont pas encore formés sans se soucier de leur évolution spirituelle et que cela aboutissait souvent à des catastrophes.

Il citait le cas de son propre supérieur, quand il était jeune. Celui-ci s'était plaint à son évêque - qui considérait son monastère comme un grand marché - en ces termes : Comment voulez-vous que je fasse du beurre si vous prenez toute la crème de mon monastère.

Pour ne pas avoir à dépendre d'un évêque, le père Placide a placé ses deux monastères sous l'ordre canonique du Mont-Athos, qui relève à son tour directement du Patriarche de Constantinople. Mais il est d'usage depuis des siècles que le Patriarche n'intervient jamais dans les affaires du Mont-Athos. Ainsi, le père Placide, ayant connu les effets néfastes des évêques sur les monastères, avait trouvé la solution pour soustraire ceux qu'il avait fondé à l'évêque local.

Le voir en faire l'apologie, au soir de sa vie, alors que ses moyens physiques et intellectuels le quittent, est surprenant, mais il faut reconnaître qu'il bénéficie de circonstances atténuantes.


Tout ceci soulève de nombreuses questions que nous traiterons au fil des messages à venir :
  1. Le Christ s'est-il montré aux femmes Myrophores uniquement pour qu'elles aillent annoncer la résurrection aux apôtres ?
  2. Le Christ a-t-il réellement instauré des évêques ?
  3. Quelle est la fonction première de ceux-ci ? 
  4. Le Christ a-t-il vraiment voulu que l’Église soit hiérarchisée ? De quel type de hiérarchie peut-il donc être question dans l’Église ?
  5. Qui était la paroisse visée par les propos du père Placide ? Qu'avait donc bien pu faire l'évêque dont il est question pour énerver à ce point ses fidèles et les liguer contre lui en une guerre ouverte ?
  6. Si l'évêque ne doit pas être considéré comme un simple fonctionnaire, comment agir lorsqu'il se comporte comme tel ?
  7. Quelle est l'attitude digne pour un chrétien devant une injustice ? La taire ? La dénoncer ? Par quels moyens ?
  8. Peut-on vraiment considérer que l'évêque, ou le prêtre, mérite du respect indépendamment de ses actes ? De par sa seule fonction ?
  9. Quels sont les textes des Pères qui pourraient aller dans le sens des affirmations du père Placide, ou qui pourraient s'y opposer ?
  10. Comment la théologie de la récupération peut-elle dénaturer l'exégèse des textes bibliques ?
  11. Les décisions des conciles œcuméniques sont-ils aussi indulgents que le père Placide sur la place de l'évêque dans l’Église ?
  12. Le discours du père Placide relève-t-il vraiment de l'ecclésiologie orthodoxe, ou a-t-il encore des relents de son passé catholique ?

Autant de questions que nous aborderons dans les prochains messages, qui évoqueront successivement :
  • la hiérarchisation de l’Église au travers de l’Évangile ;
  • la connaissance de Dieu ;
  • l'héritage des apôtres et des conciles ;
  • Spotlight et le silence dans l’Église ;
  • le cas de monseigneur Barbarin et le problème de la révocation des prêtres ;
  • le Darugate ;
  • ce qu'il convient de faire devant un évêque injuste ou confronté à une victime.

Les lecteurs pourront voir qu'au-delà des discours de propagande, auxquels le père Placide s'est complaisamment avili, le christianisme recèle une richesse qui dépasse ce que les évêques ont pris pour habitude de nous montrer.

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