de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 9 mai 2015

166- Zoé et Léla



Hugo Chavez avait pris l'habitude de répondre en direct aux questions des citoyens du Venezuela lors d'une émission télévisée diffusée tous les dimanches matin : Aló Présidente. Il expliquait ainsi sa politique, répondait aux attentes des gens, et se tenait informé de leurs problèmes. Une méthode simple, mais très éloignée de ce à quoi nos hommes politiques modernes nous ont habitués.

Sur le même principe que celui d'Hugo Chavez, Vladimir Poutine répond en direct à ses concitoyens durant plusieurs heures, chaque année.

Lors du dernier débat télévisé (de 51'40'' à 59'18''), le 16 avril dernier, l'un de ses interlocuteurs expliquait sa situation en racontant comment il était allé vivre en Russie, s'y était marié, avait créé sa ferme et y vivait avec ses enfants, ainsi que les difficultés qu'il rencontrait. Vladimir Poutine commença sa réponse en français par un dicton que son interlocuteur ne comprit pas : Cherchez la femme

Bien que certaines déviances récentes nous invitent à reconsidérer ce dicton en cherchez le jeune homme, j'essayerai de m'en tenir aujourd'hui à la version originale de cette citation d'Alexandre Dumas.

Bien avant que les Français n'en fassent un dicton, la culture grecque, et plus généralement hellénique, était pétrie de cette idée. C'est ainsi que la belle Hélène, dont la beauté dit-on n'était surpassée que par celle d'Aphrodite, fut à l'origine de la guerre de Troie, ou que Pénélope fut la motivation d’Ulysse, lorsqu'il dut affronter les pièges tendus par les dieux lors de son retour vers Ithaque.

Les héros ont toujours été prêts à affronter le monde pour le transformer et le rendre plus beau. Mais si une femme a souvent guidé leur cœur, les civilisations machistes ont rarement laissé la place du héros à la femme elle-même, comme ce fut le cas pour Bouboulina.

C'est pourtant à l'exemple d'une femme que la Grèce s'est identifiée dans les heures les plus sombres de son histoire moderne. Lorsque le parlement grec ne faisait plus qu'entériner, sans vote, dans une pure mascarade, les textes des mémorandums envoyés sous formes de mails par la Troïka, seule une femme se leva pour dénoncer ce à quoi elle assistait : Zoé Konstantopoulou. La vidéo de sa révolte face à un président du parlement autiste est devenue légendaire.



Elle ne s'est pas révoltée parce qu'elle espérait une reconnaissance quelconque. À l'époque, elle n'avait aucune chance que cela se produise. Pourtant, c'est bien elle qui s'est vu confier la présidence du parlement grec par le peuple, à la suite des dernières élections législatives. Non parce qu'elle suivait ainsi une évolution de carrière, mais parce que le peuple avait vu en elle un héros, de ceux dont les livres d'histoire nous racontent qu'ils écrivent notre présent et transforment notre futur.

Son discours de prise de fonction confirma l'espoir qui s'était porté sur elle. Il donnait le sentiment à son pays qu'il avait enfin retrouvé la dignité de ses valeurs démocratiques et humaines. Et le peuple savait que son parlement était de nouveau là par lui et pour lui.

Elle créa une commission chargee d'étudier la question des réparations de guerre de l'Allemagne envers la Grèce. Une question que ni les socialistes de Venizélos, ni la droite de Samaras, n'avaient osé aborder, bien qu'elle relève des intérêts et de la souveraineté de leur pays. Et alors que l'Europe entière commençait à présenter cette commission voulue par Zoé Konstantopoulou et Syriza comme un simple argument de négociation sans lendemain, le président allemand lui-même vient de reconnaître le bien-fondé de cette demande, au grand désespoir d'Angela Merkel qui se trouve ainsi désavouée. Il est vrai qu'elle l'avait été une première fois, il y a un mois environ, par les avocats du Bundestag, qui doutaient que le gouvernement puisse défendre sa position devant un tribunal.

Alors que les institutions européennes présentent le programme de Syriza comme irréalisable, et que nos médias parlent déjà d'une capitulation de Syriza, alors que les responsables de la BCE tentent la stratégie du nœud coulant pour étouffer la Grèce, madame Konstantopoulou prouve tous les jours que la Grèce n'abandonnera rien de ses engagements envers son peuple. C'est ainsi qu'elle a déjà fait voter une loi pour rétablir la télévision publique grecque. Ou qu'elle a permis la réintégration de 4000 fonctionnaires licenciés, ou encore qu'elle prévoit l'intégration dans la fonction publique de 6000 lauréats des concours administratifs.


Outre ses mesures pour redonner au peuple les conditions de sa dignité, elle a créé une commission chargée d'étudier la légitimité de la dette publique : l'argent prêté à la Grèce a-t-il été demandé par le peuple et utilisé pour le peuple ? Le discours qu'elle prononça à cette occasion est reproduit ici.

Dans la même lignée, elle a créé une commission chargée de réétudier tous les contrats d'armement passés, notamment avec les sociétés françaises et allemandes - contrats pour lesquels la justice avait déjà mis en avant de graves problèmes de corruption et d'irrégularités - ou encore de lutter contre la corruption, notamment en mettant à profit la liste Lagarde que les précédents gouvernements avaient tenté de faire disparaître.

Si Alexis Tsipras peut aujourd'hui se permettre de signer des textes peu à son avantage avec ses créanciers, tout en gardant le soutien de son peuple, c'est en grande partie grâce à la confiance que le peuple témoigne envers madame Konstantopoulou. Le peuple grec sait que, même si les personnes changent dans les négociations avec la Troïka, même si des textes présentés comme une capitulation sont signés, jamais il ne se soumettra. Et si un jour une puissance étrangère veut appliquer la méthode Sankara, ce n'est pas Tsipras qu'elle devra faire disparaître pour ôter l'espoir aux Grecs, mais Zoé Konstantopoulou.



Bien que sans commune mesure dans l'échelle des responsabilités, j'ai toujours eu beaucoup d'estime pour madame le Consul de Grèce à Lyon. Je la voyais présente tous les dimanches à la Communauté hellénique de Lyon. Elle remplissait les documents administratifs dont tel ou tel avait besoin, et exerçait par sa présence assidue plus qu'une simple représentation de circonstance. 

Elle a contribué à ce que notre association cultuelle rayonne au-delà des limites strictes de ses règles, en faisant que chaque Grec, qu'il soit croyant ou non, se sente accueilli et chez lui dans notre association. C'est ainsi que, lors de l'assemblée générale de février 2011, certains de mes amis athées ont voté, encouragés à le faire par madame le Consul, sous les auspices bienveillants du métropolite Emmanuel Adamakis qui présidait.

Notre communauté était prise dans son sens large. Y étaient les bienvenues toute personne se sentant représentée dans les valeurs qu'elle défendait, ou toute personne fréquentant la paroisse, quelle que soit ses origines géographiques. De même qu'il laissa des personnes athées voter aux élections de 2011, le métropolite Emmanuel valida l'élection au conseil d'administration de l'association, de personnes telles Wahib A., qui n'avaient aucun lien ethnique avec la Grèce.

Léla, fille de madame le Consul, attache beaucoup d'importance à ce que l'action de sa mère soit reconnue. Pourtant, paradoxalement, c'est elle qui contribua à mettre fin à cet esprit d'ouverture de notre communauté, que sa mère avait défendu.

En effet, en tant que vice-présidente, elle valida par ses votes successifs les évictions d'un grand nombre de nos membres, et cautionna la vision réductrice que le père Nicolas Kakavelakis avait de l'appartenance à notre communauté, et qu'il cherchait à nous imposer.


Le 30 avril 2015, Jacques Sapir publia sur son blog un texte passionnant sur Athènes, Paris et la souveraineté. Il y écrivait : Nous obliger à nous définir selon des croyances religieuses, des signes d’appartenances, c’est très précisément le piège que nous tendent les terroristes qui veulent nous ramener au temps des communautés religieuses se combattant et s’entre-tuant. D’autres alors y ajouteront des communautés ethniques. Si nous cédons sur ce point nous nous engageons vers un chemin conduisant à la pire des barbaries.

Son analyse rejoignait en cela celle que développait Amin Maalouf dans son essai Les identités meurtrières.
Je parle d'identités « meurtrières » - cette appellation ne me paraît pas abusive dans la mesure où la conception que je dénonce, celle qui réduit l'identité à une seule appartenance, installe les hommes dans une attitude partiale, sectaire, intolérante, dominatrice, quelquefois suicidaire, et les transforme bien souvent en tueurs, ou en partisans des tueurs. Leur vision du monde en est biaisée et distordue. Ceux qui appartiennent à la même communauté sont « les nôtres », on se veut solidaire de leur destin mais on se permet aussi d'être tyrannique à leur égard ; si on les juge « tièdes », on les dénonce, on les terrorise, on les punit comme « traîtres » et « renégats ». Quant aux autres, quant à ceux de l'autre bord, on ne cherche jamais à se mettre à leur place, on se garde bien de se demander si, sur telle ou telle question, ils pourraient ne pas être complètement dans leur tort, on évite de se laisser adoucir par leurs plaintes, par leurs souffrances, par les injustices dont ils ont été victimes. Seul compte le point de vue des « nôtres », qui est souvent celui des plus militants de la communauté, des plus démagogues, des plus enragés. (Amin Maalouf, Les identités meurtrières, éd. Grasset & Fasquelle, 1998, p. 39-40)
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On imagine bien de quelle manière [cette attitude] peut pousser les hommes aux pires extrémités : s'ils ont le sentiment que « les autres » constituent une menace pour leur ethnie, leur religion ou leur nation, tout ce qu'ils pourraient faire afin d'écarter cette menace leur paraît parfaitement légitime ; même lorsqu'ils en arrivent à commettre des massacres, ils sont persuadés qu'il s'agit là d'une mesure nécessaire pour préserver la vie de leurs proches. Et comme tous ceux qui gravitent autour d'eux partagent ce sentiment, les massacreurs ont souvent bonne conscience, et s'étonnent de s'entendre appeler criminels. Criminels, ils ne peuvent pas l'être, jurent-ils, puisqu'ils cherchent seulement à protéger leur vieille mère, leurs frères et sœurs, et leurs enfants. (id. p. 40-41)
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Si nos contemporains ne sont pas encouragés à assumer leurs appartenances multiples, s'ils ne peuvent concilier leur besoin d'identité avec une ouverture franche et décomplexée aux cultures différentes, s'ils se sentent contraints de choisir entre la négation de soi-même et la négation de l'autre, nous serons en train de former des légions de fous sanguinaires, des légions d'égarés. (id. p. 44)
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Ceux parmi [nos contemporains] qui pourront assumer pleinement leur diversité serviront de « relais » entre les diverses communautés, les diversités cultures, et joueront en quelque sorte le rôle de « ciment » au sein des sociétés où ils vivent. En revanche, ceux qui ne pourront pas assumer leur propre diversité se retrouveront parfois parmi les plus virulents des tueurs identitaires, s'acharnant sur ceux qui représentent cette part d'eux-mêmes qu'ils voudraient faire oublier. Une « haine de soi » dont on a vu de nombreux exemples à travers l'Histoire... (id. p. 46)

Le père Nicolas, en nous plaçant dès à présent dans une obligation d'appartenance ethnico-religieuse, nous situait dans l'évolution redoutée par Jacques Sapir et que décrivait si bien Amin Maalouf. Il prônait les mêmes concepts que ceux que les terroristes cherchent aujourd'hui à nous imposer. Il voulait nous faire oublier que notre rayonnement venait précisément du fait que nous ne nous étions jamais enfermés dans de tels principes sectaires.

Léla m'écrivit un jour qu'elle voulait que l’œuvre de sa mère soit reconnue et respectée, et que son engagement se plaçait dans la continuité de cette œuvre. J'étais d'accord avec cette requête parfaitement légitime concernant sa mère. Mais cette reconnaissance ne devait pas s'appliquer qu'à sa seule mère. Elle était l'apanage légitime de toute personne ayant œuvré en bien pour le développement de notre communauté, au premier rang desquelles se trouvait le docteur Pascal Ladias, qui avait été Consul de Grèce durant 20 ans, et notre président durant 30 ans. 

Nous n'avions pas hérité d'une communauté grecque, mais d'une communauté hellénique. Et si nous voulions réduire notre communauté à la seule Grèce, il faudrait alors en exclure l'actuelle présidente, ma cousine qui, comme moi, est française d'origine albanaise. Et en exclure encore Angela J., membre du CA, qui est chypriote et non grecque. Lorsqu'on commence à exclure tel ou tel qui ne nous ressemble pas, on finit souvent par se retrouver seul et ce n'est pas pour cela que ceux qui nous ont précédé se sont battus.

Comment Léla pouvait-elle renier par ses votes successifs l'héritage que nous avait laissé le docteur Ladias père, tout en exigeant le respect pour ce que nous laissait sa mère, sachant que les deux avaient œuvré dans le même but du rayonnement de l'hellénisme ? Comment avait-elle pu voter l'exclusion du fils du docteur Ladias, élu comme elle au CA de notre association, tout en demandant la reconnaissance de son propre engagement ?

Ce n'était pas tel ou tel qu'elle excluait progressivement, mais elle-même, car nous ne nous reconnaissions plus dans son action.

Cette situation m'a désolé. Pas tant que Léla ait pris de mauvaises décisions, mais plutôt qu'elle sache qu'elle en avait pris, et qu'elle n'ait pas la force de chercher à les faire annuler. Pourquoi avoir peur de perdre le collier doré qui blesse le cou du chien soumis ? Et pourquoi seulement croire qu'il y a quelque chose à perdre à défendre des valeurs ? J'espère qu'un jour elle saura tout ce qu'il y a à gagner à le faire, comme Zoé Konstantopoulou nous le montre chaque jour.

Si Zoé s'était tue devant les injustices qu'elle voyait au parlement, pensant préserver la place qui était la sienne, elle serait devenue inconsistante, tout comme Léla peut devenir une Zoé, à l'image des héros dont la Grèce est si fière, si elle décide d'élever la voix plutôt que de l'étouffer. C'est elle qui murmurait que ce père nous fait honte, lorsque le père Nicolas avait humilié la veuve d'Elefterios Sereslis. Le jour où elle n'aura plus peur de dire la même chose à haute voix, elle verra le monde s'ouvrir et lui révéler la richesse que confère la liberté.

Alors, ce n'est plus seulement à moi qu'elle dira que le communiqué reproduit plus haut est un faux, qu'elle n'a jamais voté de telles décisions d'exclusion, et que les décisions présentées comme étant celles du CA ne sont en fait que celles du père Nicolas et du métropolite Emmanuel.

Alors, si les Grecs de Lyon créent un comité de soutien au peuple Grec, en compagnie d'autres citoyens lyonnais de toutes origines, ils ne verront plus comme une tare de l'inviter à y participer. 

Alors elle ne craindra pas, quand viendra la vieillesse, [de] découvrir qu'elle n'avait pas vécu (Le cercle des poètes disparus).

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