de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

lundi 9 avril 2012

38- Espoir de paix

Je tiens ce qui suit de la bouche du général Georges Amine Jbeily, dont le fils est membre de ce blog et qui pourra me contredire si je me trompe. Le général Jbeily a fait vingt ans de guerres et a été le bras droit de Michel Aoun jusqu'à ce que les Syriens prennent le Liban. Il est mort en exil en France en 2005 après avoir échappé à plusieurs tentatives d'assassinat dans son pays. Il venait souvent dans la paroisse pour voir le père Athanase en qui il avait une parfaite confiance. C'est là qu'il a tenu à marier son fils et à baptiser ses petits-enfants. Ce qui suit est un hommage à la paix qu'il cherchait au-delà de la simple signature d'un traité.

Dans les années 60-70, il y eut beaucoup de coups d’État. Ces coups d'État visèrent des monarchies proches des États-Unis. La série commença en Égypte, en 1952, lorsque Nasser renversa le roi Farouk. Puis il y eut l'Irak, en 1958, lorsque Saddam Hussein pris le pouvoir. Il y eut le Yemen, en 1967. Puis la Libye, en 1969, lorsque Kadhafi renversa la dynastie al-Sanussi. Et enfin la Syrie, en 1970, lorsque Hafez el-Assad renversa Noureddine al-Atassi.

Le cas de la Tunisie, où Ben Ali prit le pouvoir en 1987, est différent. Il suit davantage l'évolution politique des pays comme le Maroc ou l'Algérie.

Le point commun de tous ces coups d'État était la mise en place de régimes forts et laïcs, destinés à contrer la montée des frères musulmans et l'islam intégriste. Il s'agissait toujours de jeunes officiers ouverts au monde et sympathisants de l'Union Soviétique. Par exemple, Hafez el-Assad fit une partie de ses études militaires au sein de l'Armée Rouge. 

Pour réussir, un coup d’État doit avoir le soutien d'une puissance extérieure forte. Les Américains soutenant les monarchies qui étaient au pouvoir, il était logique, à l'époque de la guerre froide, que l'Union Soviétique apporte son soutien à ces révolutions. Mais l'Union Soviétique, d'idéologie marxiste, ne pouvait pas implanter le communisme dans ces pays pour une raison simple : l'islam. Le marxisme affirme que Dieu est mort. Va expliquer ça à un musulman ! Jamais les populations n'auraient suivi. Ce furent donc des régimes militaires qui furent implantés. Ils ne commencèrent à chanceler qu'à partir de l'année dernière.

Parler d'islam radical est une expression assez mauvaise. Dans le christianisme, il y a 1200 mouvements protestants qui ne se reconnaissent pas tous entre eux, dont certains sont inscrits au rang de sectes ; il y a les catholiques romains avec différents courants intégristes ou progressistes, qui ne communient pas entre eux pour certains, il y a les Églises orthodoxes, une partie des russes hors-frontières qui n'a pas accepté de se réunir au patriarcat de Moscou, les anciens calendaristes grecs, les maronites, etc... 

Dans l'islam, même s'il y a moins de courants, on trouve néanmoins les sunnites, les chiites, les kharidjistes des alaouites, les druzes et beaucoup d'autres. Dans chacun de ces mouvements, il y a des tendances et des cultures différentes. Pour ce qui est de la culture, les Iraniens sont des Perses et n'ont rien à voir avec les arabes de nombreux pays. Ils ne sont chiites que depuis le XVIème siècle. Les Turcs également ne sont pas arabes. Pour les courants religieux, il y a les derviches tourneurs, les soufis, les salafistes, les frères musulmans et bien d'autres. Il ne s'agit pas de partis politiques, comme on le voit dans les élections en Égypte, mais de courants religieux au sein de l'islam qui essayent d'exister sur le plan politique.

L'amalgame des musulmans fait par Marine Le Pen, dans la continuité de son père, s'adresse à des ignorants. On ne peut pas plus dire " les musulmans " que dire " les chrétiens ". Pour un orthodoxe du Mont-Athos, le pape de Rome est l'incarnation de l'Antéchrist, celui qui voudrait que l'on reconnaisse son autorité avant de reconnaître celle de Dieu ; celui qui a imposé au fil des siècles que l'on ne pouvait pas faire partie de l’Église si l'on ne se prosternait pas devant lui d'abord en reconnaissant son autorité ; celui qui a placé son trône à la place du trône de Dieu. L'idée que cet orthodoxe puisse être assimilé à un catholique n'est pas concevable.

Ces jeunes militaires, après leurs coups d’États, ont ciblé les radicaux. Ils les ont emprisonnés pour qu'ils ne détruisent pas la société. Ce qui n’empêchait pas chaque courant religieux d'être respecté au sein de la société. On a parfois reproché à Kadhafi, ou Moubarak, des atteintes aux droits de l'homme, de faire des prisonniers politiques avec des responsables religieux ; pour ce qui est des islamistes, ils ont fait ce que Sarkozy fait aujourd'hui : ils ont mis en prison ceux qu'ils considéraient comme pouvant gangrener l'équilibre de la société civile. C'est du moins ce qu'était leur motivation initiale.

Ce fondamentalisme musulman monta néanmoins en puissance, avec la bienveillance des États-Unis qui avaient perdu une partie de leur influence sur les pays en question. Il culmina avec l'assassinat d'Anouar el-Sadat, en 1981. Il n'était pas prévu que Moubarak prenne la succession du pouvoir. Moubarak était dans la tribune, aux côtés d'el-Sadat, lorsque le commando abattit ce dernier. Moubarak aurait dû mourir avec lui pour sortir l’Égypte de l'influence militaire. Il se remit cependant de ses blessures et dirigea l’Égypte d'une main de fer. Les Américains finirent par s’accommoder de lui moyennant une aide financière et le respect de la paix avec Israël.

L'autre point culminant fut l'assassinat de Bashir Gemayel, en 1982, au Liban. Ces deux assassinat marquent une intrusion de la religion dans la société politique de pays multi-ethniques et multi-religieux.

En Israël, il n'y a pas que des juifs, mais aussi des chrétiens et des musulmans. Tout comme en Palestine il n'y a pas que des musulmans. Mais pour asseoir l'idée qu'Israël devait être un État uniquement juif, les sionistes avaient besoin de montrer qu'une cohabitation confessionnelle était impossible. Pour cela, les pays autour ne devaient pas montrer qu'il était possible de vivre ensemble. Les sionistes visent donc, depuis des décennies, à diviser le Liban pour mettre en évidence que la cohabitation n'est pas possible. Ils avaient ensuite prévu d'en extraire les chrétiens pour faire du Liban un pays musulman. Aidés en cela par les Américains, ils avaient préparé un plan pour envoyer les chrétiens au Canada, en Europe et en Amérique : la transplantation leur était offerte. Ils n'avaient qu'à dire où ils voulaient aller.

C'est exactement ce qui arrive en ce moment en Syrie et qui est condamné par le Patriarche Ignace IV d'Antioche.

Soleimane Frangié, président du Liban, s'opposa à cette vision. Il prononça un discours à l'ONU le 22 septembre 1974. Pour être plus précis, c'est lui qui fit venir Yasser Arafat à l'ONU et qui introduisit le discours d'Arafat devant l'assemblée. L'initiative de Frangié a été l'équivalent d'une déclaration de guerre pour les États-Unis : un chrétien demandait à un musulman de venir plaider sa cause ; un chrétien disait à un musulman qu'ils pouvaient vivre ensemble. " Ce que nous faisons au Liban, il n'y a pas de raison que ça ne puisse pas se faire en Palestine. " Par Palestine, il entendait également l'intégralité du territoire d'Israël que les États arabes ne reconnaissaient pas ; une grande Palestine où tout le monde vive en paix.

Les USA ont tout fait pour empêcher le discours de Frangié. Lorsque son avion a atterri en Amérique, et alors qu'il était chef d’État et bénéficiait de l'immunité diplomatique, il fut brutalisé et traité comme un criminel. Son avion fut fouillé par le FBI et la DEA comme s'ils cherchaient de la drogue. On lui fit comprendre après cette fouille brutale qu'il pouvait considérer cela comme une humiliation de son peuple et un casus belli (cas de guerre). Il pouvait utiliser ce casus belli pour rentrer dans son pays, critiquer les États-Unis, ne pas faire son discours à l'ONU et pouvoir se justifier ainsi face aux arabes. Frangié refusa, accepta l'humiliation et fit son discours dans lequel il prôna un seul État où tous puissent vivre en paix. 

Kissinger, qui était présent à l'ONU, est devenu furieux. Il a pris une carte, a fait une croix sur le Liban, et a dit : " Si les chrétiens libanais ne veulent pas se sauver eux-mêmes, on ne les sauvera pas nous. " Le Liban était alors un État sur le plan diplomatique, mais pas un État dans la conscience collective. Chacun se considérait comme membre de sa communauté avant de se considérer comme Libanais. Ce discours était visionnaire, mais il a été facile d'organiser la division du peuple. Un an plus tard, après le 13 avril 1975, on faisait remarquer à Frangié que son pays était en guerre et on lui demandait où était son discours. La fille de Frangié a relaté certaines de ces oppositions avec Kissinger.

Les guerres ont ravagé le Liban, mais les Libanais ont toujours refusé cette partition. Leur constitution accorde des postes du pouvoir prédéfinis en fonction des confessions religieuses. Le but est de créer une situation dans laquelle tout le monde a besoin de tout le monde pour fonctionner. Hassan Nasrallah revendique constamment l'unité du Liban, et c'est pour cela que le Hezbollah fait figure d'exemple dans la population libanaise ; au point qu'ils ont remporté les dernières élections.

Il y a quelques jours encore, le Conseil Œcuménique des Églises, en France, condamnait les sionistes pour leurs persécutions contre les chrétiens palestiniens, mettant en avant que ce ne sont pas les musulmans qui sont les ennemis de cette communauté qui est la plus ancienne communauté chrétienne au monde.
 
Aujourd'hui, dans toutes les révolutions qui ont lieu en Afrique et au Moyen-Orient, les changements de régime visent les pays qui furent sous influence soviétique. Nous n'entendons presque pas parler des pays qui sont toujours restés sous influence américaine, comme les révoltes qui ont lieu à Barhein, ou en Arabie Saoudite, et dont la répression est d'une extrême violence.

Il ressort de tout ceci que le modèle politique viable est clairement celui du Liban : un pacte non écrit qui partage les pouvoirs, des minorités qui existent dans la représentation politique, et une tolérance où quelqu'un qui va provoquer une autre communauté va se faire tuer, non pas par la communauté attaquée, mais par la sienne. C'est l'antiracisme prôné par Olivier Besancenot, mais avec une application réaliste qui vient de toutes les guerres qu'ils ont traversées.
 
Dieu peut avoir toutes les richesses qu'il désire puisqu'il est Créateur de toutes choses ; il peut avoir tous les serviteurs qu'il lui suffit de créer en un instant. Et pourtant, il y a une seule chose qu'il ne peut pas avoir par lui-même et que l'homme est à même de lui donner, ou tout au moins de partager avec lui : l'amour. L'amour ne trouve son sens que dans la liberté que l'on a de le donner et de l'accepter. Le chrétien, qui est porteur de la vérité de l’Évangile, se doit de montrer l'exemple. Sinon il sera lui aussi dans l'erreur. Il ne crée pas les révolutions, mais il se doit de protéger ses enfants. Il peut vivre sous n'importe quel régime politique, mais il défendra la liberté sans laquelle il ne peut rien donner à Dieu. Il s'inscrira dans la vie sociale, mais il ne perdra jamais de vue que son espérance est dans la Jérusalem céleste suivant cette parole : soyez dans le monde, mais ne soyez pas du monde (Jn 17, 14-18).

Ceux qui s'intéressent à ces questions peuvent approfondir avec les liens suivant :
http://www.andreversailleediteur.com/upload/args/yasserarafatnovembre.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/Nationalisme_arabe
http://www.universalis.fr/encyclopedie/israel/3-institutions-et-vie-politique/

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