Un
an après l'audition au commissariat que je relatais dans le
message précédent, j'appris, un peu par hasard, qu'une nouvelle plainte
avait été déposée contre moi. Mon avocat se renseigna et me dit qu'il
s'agissait de la plainte n°13108000249, déposée par le père Nicolas Kakavelakis
et l'Annonciation de la Mère de Dieu, le 13 avril 2013, visant des faits de
diffamation.
Je
ne crois pas que la Mère de Dieu ait jamais porté plainte contre quelqu'un, et
encore moins que son Annonciation l'ait fait pour elle. Même pas contre
ceux qui ont crucifié son fils. Utiliser son nom pour ce genre de procédure ne
dénote pas un grand respect des choses sacrées de la part de son auteur.
Je
n'ai plus jamais entendu parler de cette plainte et n'ai jamais été entendu
dans ce dossier. On dit parfois que la Justice est lente. Je l'ai
personnellement trouvée très rapide dans le classement qu'elle a fait...
Le
7 janvier 2015, en fin d'après-midi, mon téléphone sonna : C'est le
commissariat, nous souhaiterions vous entendre dans une affaire vous
concernant... Une fois les souvenirs évoqués dans le précédent message
remontés en moi, la conversation débuta.
Il
s'agissait de répondre de faits de diffamation sur internet. Nous étions le
soir des attentats contre la rédaction de Charlie Hebdo. La France
entière était bloquée par le plan vigipirate et s'organisait pour défendre
la liberté d'expression. Cette conversation avait donc un caractère un peu
surréaliste. Je répondis que j'étais disponible dès le lendemain matin.
L'officier
me proposa de prendre plus de temps, et m'informa de ma possibilité
d'être assisté d'un avocat. Les règles de procédure avaient changé au
premier janvier 2015, notamment pour ce qui concernait les auditions libres. Ma
protection juridique aurait effectivement pu mettre un avocat à ma disposition,
mais je n'en voyais pas l'utilité. Nous n'étions que dans du réchauffé.
Nous
convînmes de nous retrouver le 8 janvier à 10 heures 30.
En
arrivant, j’eus l'impression d'être plongé dans La
4ème dimension. Le commissariat était fermé pour cause de plan
vigipirate renforcé. Il fallait accéder à une porte annexe gardée, donner le
motif de sa venue, puis un policier venait à la porte principale pour l'ouvrir
et la refermer aussitôt. Ce lieu habituellement si bruissant des malheurs qui
s'y croisent était vide et silencieux. Si nous ne pouvions pas parler de l'affaire
du siècle dans ce dossier, nous pouvions au moins évoquer l'affaire de
la journée, parce qu'il n'y en avait pas d'autre de prévue.
L'officier
passa une bonne demi-heure à m'informer de mes droits et je dus signer des
documents le libérant de sa responsabilité sur le fait que je n'avais pas
demandé d'avocat. Il s'avéra alors que j'étais convoqué sur cette fameuse
plainte d'avril 2013 déposée par la Mère de Dieu. Le procureur l'avait
classée. Mais lorsque le Commissaire Corridor avait téléphoné au père Nicolas,
le 23 décembre 2014, celui-ci avait vraisemblablement évoqué cette plainte pour
tenter de se victimiser. Le commissaire était intervenu pour rouvrir ce dossier
et la plainte du père Nicolas avait été formellement actée par l'audition de ce
dernier le 24 décembre.
Un
premier débat eut lieu sur la prescription ou non des faits pour lesquels
j'étais entendu. L'officier a finalement convenu, et c'est ce qu'il acta dans
le document, qu'en matière de diffamation la prescription est de 3 mois à
partir de la première publication d'un propos. Le dépôt de plainte suspend la
prescription. La plainte étant déposée au 24 décembre 2014, l'officier ne
pouvait m'entendre que sur des écrits publiés pour la première fois et
remontant au plus tard au 24 septembre.
J'aurais
pu décider de partir à ce moment-là, car le procureur ayant été saisi en avril
2013, les faits qu'elle mentionnait étaient antérieurs au 24 septembre 2014, et
mon audition n'avait donc pas lieu d'être.
De
plus, en avril 2013 déjà, la plainte ne faisait que reprendre les faits pour
lesquels j'avais été entendu en juillet 2012. Donc, déjà au moment de la saisie
du procureur, les faits dénoncés étaient prescrits.
Une
fois mes droits notifiés et après qu'on m'eût avisé du motif de ma présence,
l'audition put commencer. Je demandais la possibilité de présenter un hommage
aux victimes de l'attentat de Paris. L'officier me dit qu'il y était sensible,
mais qu'il ne pouvait pas l'inscrire dans la procédure.
Il
avait en main une lettre du Conseil de la Communauté, listant trois pages de
griefs qui m'étaient attribués. Cette lettre était signée du père Nicolas
Kakavelakis, de Manolis Bibilis, et d'une troisième personne dont je ne pus
lire le nom.
Je
fis remarquer que cette lettre et cette plainte n'avaient aucune valeur. Le
Conseil est composé de 15 membres. Or, pour prendre une décision à l'issue
d'une délibération, le secrétaire doit convoquer les membres avec un ordre du
jour. En l’occurrence, plusieurs des membres du CA s'étaient plaints au préfet
de n'être jamais convoqués à aucune réunion. Par conséquent, la décision d'engager
une procédure était nulle et non avenue.
L'officier
fit remarquer que le Président a le pouvoir de représenter la Communauté. Cela
est vrai dans certains cas, mais il ne peut pas présenter sa décision comme
étant le fruit de la délibération du Conseil. Et, en matière judiciaire, il
faut l'unanimité des membres du CA pour décider d'engager une action et avoir
qualité à agir.
Je
fis ensuite observer que j'avais écrit à ce jour 148 messages. Or, dans la
longue liste des doléances que nous avions sous les yeux, il n'y avait pas la
moindre ligne reprenant ce que j'avais écrit. Nous n'étions que dans de vagues
affirmations. L'officier me fit remarquer, par une question subtile tout autant
que perfide dont les policiers ont le secret pour déstabiliser leur interlocuteur,
que je savais bien ce que j'avais écrit. Ce n'était pas complètement vrai, car
je ne peux pas retenir la totalité de ce que j'écris. De plus, ce n'était pas à
moi de prouver que j'étais innocent, mais à l'accusateur de prouver que j'étais
coupable. Pour cela, il se devait de produire les phrases qu'il jugeait
diffamantes.
D'ailleurs,
je ne visais à dénigrer personne. Je rapportais des choses parfois
désagréables, certes, mais jamais calomnieuses. Pour m'en assurer, je laissais
toujours un droit de réponse aux personnes que je nommais dans mes messages en
leur soumettant le texte au préalable afin qu'ils puissent l'amender, ou
répliquer, éventuellement, selon leur droit de réponse.
L'officier
eut beaucoup de mal à me croire sur ce point. Car si je soumettais mon texte en
amont et que les protagonistes ne faisaient pas de remarque pour demander à
changer ce qu'ils pouvaient estimer être diffamant, ils n'avaient plus de
légitimité pour se plaindre de mes publications.
S’agissant
du père Nicolas, je ne parlais de lui que dans le cadre de ses fonctions. Et
ses fonctions veulent qu'il ne soit que le représentant du métropolite Emmanuel
Adamakis, selon les règles ecclésiales qui prévalent dans notre association
cultuelle. Par conséquent, c'est au métropolite que je soumettais mon texte
chaque semaine.
Je
me plaçais dans un travail de journaliste avec, il est vrai, une ambiguïté sur
mon rôle lorsque j'étais également témoin. Contrairement aux journalistes, je
citais mes sources et produisais mes documents. Il m'était arrivé de commettre
des erreurs, ce dont plusieurs personnes m'avaient fait part : je rectifiais
alors mes textes, même une fois publiés afin de ne pas laisser de telles
erreurs en ligne. Il n'y avait donc aucune volonté de nuire dans ma démarche.
Récemment, un journaliste Sud-Africain se fit agresser
en direct à l'antenne : cessa-t-il d'être journaliste parce qu'il était en
même temps victime ? Aurait-il cessé de l'être s'il avait été en même temps
témoin ?
Nous
avons repris les grandes lignes des affirmations du père Nicolas, sans qu'elles
permettent d'entrer dans les détails puisqu'il ne les étayait par aucun
document. Ce fut néanmoins l'occasion de revenir sur quelques dossiers que le
père Nicolas n'avait pas cru bon de mentionner et que l'officier ne connaissait
pas, comme celui
de mademoiselle P. L'Annonciation de la Mère de Dieu ne pouvait
affirmer que je créais du tort au père Nicolas Kakavelakis par mes propos, tout
en sachant qu'il ne s'agissait pas de mes propos mais de ceux d'une demoiselle
identifiée. L'argument était d'autant moins recevable que ni le père Nicolas ni
l'Annonciation n'avaient jamais contesté le témoignage de cette
demoiselle, bien qu'ils eussent été dans leur droit de le faire s'ils avaient
estimé que les propos relatés étaient mensongers.
Je
ne reviendrai pas ici sur les trois pages de doléances que nous dûmes aborder.
Pas une seule de ces accusations n'était étayée, et pour cause : elles étaient
toutes mensongères, ce qui conduisit l'officier à me conseiller d'attendre
l'avis de classement du procureur, pour venir ensuite déposer plainte contre le
père Nicolas pour dénonciation calomnieuse.
Je
ne reviendrai que sur l'un des éléments avancés par mon accusateur. Il
paraîtrait que j'aurais dit que la mère du père Nicolas est la secrétaire du
Patriarche. Je ne vois pas en quoi cela aurait pu constituer une infraction,
mais, indépendamment du fondement juridique douteux de l'accusation, elle était
fausse !
Ce
même point de l'accusation faisait allusion au 8ème message de mon blog : Patriarcat
et franc-maçonnerie, dans lequel je relatais que j'avais écrit en
recommandé au Patriarche de Constantinople. La
signature sur l'avis de réception du recommandé indique : Kakavelakis. Quel
Kakavelakis ? Je ne sais pas. Mais je relevais qu'il était probable qu'il
s'agisse de Madame Mère qui travaillait au patriarcat.
Je
ne sais pas ce qui fit croire au père Nicolas que je pensais que sa mère était
la secrétaire du Patriarche. J'ai entendu beaucoup d'explications de personnes
qui cherchaient à comprendre quel lien unissait ces deux-là, et pourquoi Madame
Mère aurait pu relever le courrier de cet honorable célibataire, mais celle de
la secrétaire est de loin la moins intéressante... En tout cas, ce n'est pas
l'explication qui permettrait de comprendre pourquoi le père Nicolas bénéficie
d'une protection lui permettant d'être toujours en poste...
Il
y eut un point qui intéressa particulièrement l'officier : celui de
l'excommunication supposée que le métropolite aurait décidée à mon égard.
Cette excommunication était mise en avant par le père Nicolas comme un élément
à charge contre moi. Je répondis que le père Nicolas avait excommunié de nombreuses
personnes de sa propre autorité, bien que les règles de l'église ne lui
donnent pas ce pouvoir. Le père Nicolas n'aurait pas manqué de produire cette
décision épiscopale dans sa plainte si elle avait existé, tout comme il avait
produit d'autres courriers du métropolite. Une excommunication ne peut venir
que du métropolite. Et s'il avait pris une telle décision contre moi, il
n'aurait pas manqué de m'en faire part directement. Ce qui n'avait jamais été
le cas. Car, à défaut, comme pour toute décision prise mais non signifiée à
l'intéressé, elle n'était pas applicable.
J'évoquai
également une plainte pour diffamation que j'avais déposée en 2012, suite à un
texte publié par le père Nicolas sur la page internet de la communauté. Je
donnai la copie
de ma plainte avec l'accusé de réception du Parquet. L'officier s'étonna
que je n'aie jamais été entendu dans cette affaire et me dit que c'était un
élément à charge contre le père Nicolas, puisqu'il se plaignait en 2013 de
méthodes qu'il employait en 2012. Il est possible que ce dossier soit rouvert,
bien que je considère que les faits sont prescrits, tout comme ceux qui me
visaient ce jour-là.
L'officier
me reprocha de mettre les choses en ligne, sans attendre que la justice se
prononce. Je répondis que j'avais saisi les autorités religieuses compétentes
un an avant de commencer mon blog, mais que le métropolite Emmanuel Adamakis
avait étouffé l'affaire. Il avait notamment annulé une confrontation que son
vicaire, le père Arsénios, avait programmée entre la jeune mademoiselle P. et le père
Nicolas. Par la suite, sur les faits de faux, la Préfecture avait saisi le
procureur. La Préfecture avait également demandé une enquête des Renseignements
Généraux sur les dossiers visant notre association. Enquête qui avait abouti à
une note complète. Note qui avait servi à étouffer la plainte de la Préfecture.
En effet, un an plus tard, les services du parquet ne trouvaient plus aucune
trace de cette plainte. Il avait fallu que des élus de la Communauté prennent
un avocat pour la relancer. J'étais d'accord pour engager des recours internes,
ou pour laisser faire la justice, mais à condition que les autorités saisies
traitent les problèmes sans les étouffer.
L'officier
attira alors mon attention sur l'article
40 du code pénal, qui permet de saisir le procureur sans être soi-même
victime. Je pris acte de cette recommandation, qui rejoignait celle faite par le
délégué du préfet, la veille.
Je
ressortis sans avoir reçu de convocation pour me présenter devant un juge, et
sans qu'aucune charge ne soit retenue contre moi. L'officier ne prit même pas
la peine de téléphoner au procureur pour lui demander quelles suites il
entendait donner à cette affaire. Il me dit qu'il lui renverrait le tout, afin
qu'il prenne sa décision. Manière diplomatique de me dire qu'il n'y avait rien
à poursuivre, mais que je devais néanmoins faire attention à ce que j'écris.
L'officier
reproduisit fidèlement mes propos dans l'audition, ce qui était très
appréciable. Par comparaison, en juillet 2012, l'officier qui m'avait entendu
s'était alors contenté d'une vague synthèse évocatrice. Les synthèses ne
laissent pas de place aux nuances, et il est regrettable de devoir s'en
contenter.
L'officier
avait entendu l'histoire
du vigile, qui avait manifestement fait le tour du commissariat. Il me dit
que personne ne pouvait m'interdire d'entrer dans un lieu de culte, quelle que
soit la fantaisie des arguments présentés. Seul un juge a le pouvoir de prendre
une telle décision, ce qui n'était pas le cas.
Je
conclurai ce message en mettant à l'honneur un principe cher au père Nicolas,
celui du droit
à la satire : j'avais l'impression que toute cette plainte avait été
rédigée par les
Pieds Nickelés de la procédure, ces petits-filous sans envergure dont les mauvais coups les conduisent souvent en prison !
L'audition
avait duré 3 heures.
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