Le Christ a repris sèchement les pharisiens de son époque. Lorsque ceux-ci juraient sur le Temple de Jérusalem, ils estimaient qu'ils n'étaient pas tenus par leur serment. Mais les mêmes disaient que s'ils juraient sur l'or du Temple, alors ils étaient tenus (Matth. 23, 16). Tout le monde trouve logique, dans la continuité du Christ, de considérer que le Temple, qui rendait l'or sacré, était plus important que l'or lui-même, et que jurer sur le Temple était plus fort que jurer sur son or. Mais penchons-nous sur cette question, pour voir si sa réponse est vraiment évidente pour tout le monde.
Quand j'étais plus jeune, avec l'expérience de la vie monastique que j'avais eue, je trouvais logique de respecter les règles fixées. Parmi ces règles, personne ne devait entrer dans le sanctuaire, sauf pour le service de la liturgie. Le service étant interdit aux femmes, l'accès du sanctuaire ne leur était jamais permis. De la même façon, la fin de la liturgie marquait la fin du jeûne et commencer des agapes sans que l'office ne soit complètement terminé était un manque de respect et un manque de sens des choses.
Pourtant, lorsque le père Nicolas Kakavelakis a commencé à mettre en pratique ces règles, un sentiment de malaise s'est manifesté dans la paroisse.
Tout d'abord, pour revenir à la similitude de la vie monastique, tous les moines ne vont pas à l'office. Il y a ceux qui préparent le repas, ceux qui sont aux champs, ceux qui sont en voyage... L’Église le sait, elle qui prie pour ceux qui sont absents pour une juste raison. Chacun a un rôle, chaque rôle est légitime et, de même que l'Esprit est infini dans ses dons, il est raisonnable de penser que tous n'ont pas à avoir la même place au même moment.
Ainsi, lorsque le père Nicolas a imposé de fermer la porte de la salle paroissiale jusqu'à la fin de la liturgie, des anciens se sont élevés contre cette décision, notamment Stélios. Depuis que la porte de la salle est fermée, il n'y a plus personne qui vient préparer les tables pour le café, ou qui accueille ceux qui veulent chauffer un biberon pour un enfant, ou simplement aller aux toilettes.
Un autre point me gêne : celui de l'autoritarisme. Le père Nicolas prend des décisions sans consulter le comité qui gère les affaires de la paroisse, dont Stélios est le doyen. Le père Athanase n'avait jamais procédé ainsi, lui qui avait pourtant la légitimité conférée par le respect qui lui était porté. Saint Pierre ne dit-il pas : Faites paître le troupeau qui vous est confié, non par la contrainte, mais de bon gré, selon la volonté de Dieu, non pour un gain sordide, mais par dévouement, non en dominant sur ceux qui vous sont échus en partage, mais en vous rendant les modèles du troupeau (1Pierre 5, 2-3) ? Qu'est-ce qui peut justifier un tel comportement du père Nicolas ?
J'ai essayé de discuter avec Fani, étudiante de passage qui prépare maintenant le café et qui a la mission de ne plus ouvrir la porte. Deux arguments se dégageaient de ses propos : le père l'avait décidé, et la liturgie n'était pas terminée. Fani est une fille gentille qui n'a pas encore suffisamment d'expérience de la vie et de connaissances pour pouvoir remettre en question des affirmations qui viennent d'un prêtre. Pour autant, je ne comprends pas comment elle peut oser fermer la porte à Stélios qui a construit cette salle de ses mains pour en faire un lieu ouvert à tous et accueillant.
Peut-être est-ce pour couper court à ses hésitations que le père Nicolas vient de mettre un vigile dans le sanctuaire pour empêcher ceux qui voudraient ouvrir la salle de le faire ? La salle peut en effet s'ouvrir de l'extérieur avec une clé, ou de l'intérieur en passant par le sanctuaire de l'église. Mais un tel vigile a-t-il une légitimité dans le sanctuaire ? N'avons-nous pas vu plus haut que les règles de l’Église veulent que seuls ceux qui ont une fonction liturgique peuvent accéder au sanctuaire ? Et le respect de ces règles n'est-il pas l'excuse avancée par le père Nicolas pour fermer la salle ? Que faudrait-il penser de celui qui voudrait imposer aux autres, par la force, des règles qu'il ne s'appliquerait pas à lui-même ?
La violente altercation, dimanche dernier, entre Stélios et Manolis, était caractéristique de ces deux visions du monde qui s'affrontent. L'un voulant que les portes restent ouvertes, et l'autre remplissant le rôle du vigile qui les veut fermées.
Je n'ai pas l'intention de faire ici un procès d'intention à Manolis, aussi je partirai du principe qu'il pense bien faire en voulant que personne n'accède à la salle tant que la liturgie n'est pas terminée. Ceci indépendamment du fait que la fonction de vigile qu'il a accepté n'a rien de liturgique, et que sa place n'est donc pas dans le sanctuaire. Mais mon respect pour les nobles idées qu'il dit défendre s'est arrêté le soir de Pâques. Ce soir-là, la liturgie n'était pas encore commencée que la salle était déjà ouverte. L'alcool coulait à flots au milieu des viandes, alors que le sacrifice liturgique de l'Agneau pascal n'avait pas encore été offert. La fête battait son plein et le bruit de l'argent remplissant la caisse venait couvrir la tiédeur des chants de l'office.
D'un point de vue ecclésiologique, tous les dimanches de toute l'année sont une reprise de la fête de Pâques, et c'est pour cela que le dimanche est un jour chômé qui est toujours un jour festif. De la même façon, toutes les liturgies de toute l'année sont une reprise de la liturgie de Pâques. Pourquoi donc imposer le respect de la liturgie du dimanche, si c'est pour mépriser celle du jour de Pâques, modèle de toutes les liturgies ?
Alors je dirai à Fani, qui pense que Pâques, ce n'est pas pareil, les gens viennent pour faire la fête, pas tous pour aller à l'église : qu'est-ce qui est plus important, l'or, ou le Temple qui rend cet or sacré ? Qu'est-ce qui est plus important, la soirée dansante, ou la liturgie qui donne son sens à cette fête ? Qu'est-ce qui est plus important, la liturgie d'un dimanche ordinaire, ou la liturgie de Pâques qui rend toutes les liturgies de l'année festives ? Qu'est-ce qui est plus important, fermer les portes, ou considérer que le Christ a ouvert toutes les portes, autant celles des enfers que celles du paradis ? Qu'est-ce qui est plus important, la liturgie ou l'hôte de passage pour qui le Christ donne son sang durant la liturgie ?
Il y a des choses que l'on ne comprend réellement que lorsqu'on les a vécues. Un jour Fani comprendra que si le café du dimanche était vendu et non offert, le père Nicolas ouvrirait la salle dès 6 heures du matin, sur le principe de ce qu'il fait la nuit de Pâques. Elle comprendra que si les règles liturgiques intéressaient le père Nicolas, elle ne pourrait plus passer par le sanctuaire pour aller préparer le café, car elle est une femme. Elle se demandera alors quelles sont les véritables motivations du père Nicolas et comprendra qu'elle n'est qu'un faire-valoir dans une querelle de pouvoir avec les anciens qui ont construit cette communauté de leurs mains. Mais en attendant que Fani comprenne, Stélios a raison de vouloir que toutes les portes restent ouvertes, car c'est notre hospitalité qui fait notre valeur de chrétiens.
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