Voici le texte d'une présentation que j'ai faite le 10 février 2023 dans le cadre du Repas des Patriotes, réunion publique organisée par le Rassemblement National à Lyon. Je les remercie pour leur invitation.
Introduction
Le 1er janvier 2023, la Laure des grottes de Kiev, le plus ancien lieu monastique russe, fondé en 1051, célébra son dernier office orthodoxe, devant une foule dense. Le lendemain, cet immense monastère fut envahi par l’armée ukrainienne et le SBU, qui chassèrent de ce lieu l’ensemble des prêtres, des moines et des fidèles. Cela s’inscrivait dans une longue succession d’actes visant tous à constituer artificiellement une Église indépendante d’Ukraine, dans la continuité du coup d’état du Maïdan.
L'abbé de la Laure, le métropolite Pavel, a déclaré : Aujourd'hui, nous quittons le territoire de la Laure supérieure. Nous quittons les temples pour lesquels nous avons prié à la demande de seigneurs capricieux. Les musulmans nous ont toujours permis, et nous permettent encore, de prier sur la tombe de Saint-Nicolas. Les catholiques nous permettent de prier sur la tombe des saints Apôtres, sur les reliques de saint Nicolas. Mais notre peuple, qui se prend pour le centre de la terre, nous bannit de nos sanctuaires sur notre propre terre.
Malheureusement, énoncer une succession de faits divers ne permettra pas de comprendre ce qui se passe en Ukraine en ce moment. Donc, avant de revenir à la situation tragique de l’Ukraine et de son Église aujourd’hui, je vais devoir replacer ce qui se passe dans un contexte plus large.
Laure des grottes de Kiev |
Fondements de l’Église
Étymologiquement, l’Église est la communauté du peuple. Dans son sens mystique, l’Église est le corps du Christ, constitué de chacun de ceux qui partagent la foi en lui. Ce sens mystique vient de deux paroles de l’Évangile : Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites (Matth. 25, 40) et Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux (Matth. 18, 20).
Ignace d'Antioche écrira, au début du IIème siècle : Là où paraît l'évêque, que là soit la communauté, de même que là où est le Christ Jésus, là est l’Église (Ignace d'Antioche, Lettre aux Smyrniotes, VIII, in : Les Pères apostoliques, Paris 1991). Si bien que très tôt dans l’histoire du christianisme, l’Église a pris un sens d’organisation institutionnelle autour d’un clergé établi.
Cette organisation a concrétisé un besoin, destiné à faire face à des divisions naissantes et à participer à la vie des empires romains et byzantins, dans lesquels ces Églises prospéraient. Les canons des conciles œcuméniques, que l’on présente comme destinés à fixer le dogme, ne visent d’ailleurs bien souvent qu’à organiser le fonctionnement de cette institution.
Les Églises comme moyen d’influence au cœur des conflits
Pour autant, cette organisation institutionnelle était censée manifester la réalité mystique évoquée dans l’Évangile, mais en aucun cas se substituer à elle. Aussi, quand le pape de Rome a voulu imposer son autorité à l’ensemble du monde chrétien, au XIème siècle, les autres entités ecclésiales constituées dans d’autres lieux géographiques n’ont pas accepté cette revendication, qui ne reposait sur aucun fondement évangélique.
Cela conduisit à la séparation entre ce que nous connaissons aujourd’hui comme l’Église catholique et les Églises orthodoxes. Tout au long de l’histoire chrétienne, ces conceptions humaines de l’Église en tant qu’institution, d’un côté, et corps mystique, de l’autre, se sont affrontées. Et chaque fois que l’institution a voulu s’imposer comme une réalité supérieure qui venait au-dessus du message de l’Évangile, cela a conduit à des périodes de décadence de l’Église et à des conflits.
Les guerres ont des aspects bien plus variés que l’affrontement armé. Elles se déclinent par des guerres économiques, monétaires, informationnelles, psychologiques, technologiques. Et dans l’ensemble de ces aspects d’une guerre totale, il y a la volonté de contrôler ou, à défaut, de détruire les cultures ou les religions.
Ainsi, les conflits des Églises ont souvent été l’une des facettes d’une guerre entre les empires romains d’Orient et d’Occident, ou du moins d’une guerre d’influence lors de laquelle ces anciens empires essayaient de conserver ou d’étendre leurs territoires. C’est ainsi qu’avec le Concile de Florence au XVème siècle, l’Église catholique a tenté de s’unir à nouveau aux Églises orthodoxes, moyennant une forme d’inféodation.
Présent au concile de Florence, le métropolite de Kiev, Isidore, adhéra à l’union des Églises au nom de l’Église russe. De retour à Moscou en 1441, il échoua à imposer cette union, vue comme une manœuvre politique dans tout le monde orthodoxe. Le prince Vassili II le fit arrêter et libéra l’Église russe de la tutelle des Byzantins.
150 ans plus tard, le 23 décembre 1595, sur la base des principes érigés par le concile de Florence, c’est en Ukraine que fut créée la première Église uniate, qui visait à affaiblir les Églises orthodoxes sur leurs propres territoires.
Réorganisation des Églises ukrainiennes
Lorsque Zbigniew Brezinski, qui a largement contribué à définir la politique étrangère des États-Unis, appelait à arracher l’Ukraine à la Russie, il n’inventait rien. Il se contentait de prolonger une guerre d’influence qui avait été théorisée 400 ans plus tôt en l’adaptant à son propre temps.
Durant ces dernières années, malheureusement, l’Église orthodoxe du Patriarcat de Constantinople, sous la juridiction de laquelle je me trouve, est entrée dans l’une de ces périodes de décadence. Les exemples qui montrent que ses hiérarques tentent de s’imposer comme une autorité supérieure sur des juridictions qui ne sont pas les leurs, ou bien qu’ils prennent des positions politiques, sans avoir la moindre légitimité pour agir ainsi, sont de plus en plus nombreux et malsains.
Après le Maïdan, de nombreuses mesures furent prises pour couper l’Ukraine de ses racines slaves, de sa culture et de sa religion. On pense bien sûr à l’interdiction de parler la langue russe, qui s’est étendue depuis 2014 par plusieurs lois de plus en plus restrictives, mais ce n’est qu’un exemple. L’une de ces mesures fut d’instrumentaliser l’Église orthodoxe d’Ukraine, qui était déjà divisée.
Sous la pression des Américains, qui restent à la manœuvre des destinées ukrainiennes depuis le coup d’état du Maïdan, le patriarche de Constantinople invoque un droit de juridiction sur les territoires barbares prévu par le 28ème canon du 4ème concile œcuménique, il affirme que Kiev relève de ces territoires barbares, et que c’est donc à lui de présider aux destinées de l’Église d’Ukraine.
Ce faisant, le patriarche Bartholoméos oublie volontairement le 2ème canon du 2ème concile œcuménique qui prévoit qu’aucun évêque ne doit intervenir dans un évêché autre que le sien, et qui fixe les limites des quatre grands patriarcats de l’époque.
C’est un personnage sulfureux, le métropolite Emmanuel Adamakis, qui est chargé de mettre en forme ce coup de poignard dans le dos du patriarcat de Moscou. Pour rappel, le métropolite Emmanuel Adamakis est l’ancien archevêque grec-orthodoxe de France et représentant du patriarche auprès de l’UE. C’est lui qui a couvert et protégé pendant 10 ans le prêtre pervers de Lyon qui s’est fait tirer dessus il y a deux ans. Aujourd’hui, il intrigue dans l’ombre pour devenir le prochain patriarche de Constantinople.
Du 16 au 19 avril 2018, le président Porochenko et le parlement ukrainien imposent la fusion de deux Églises dissidentes locales : l’Église orthodoxe ukrainienne, avec à sa tête monseigneur Philarète, et l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne, avec à sa tête l’archevêque Macaire (comme pour les mouvements nationalistes corses, les noms et les apparences de ces Églises sont très proches, mais traduisent des luttes d’influences différentes).
Le 11 octobre 2018, affirmant son autorité sur l’Ukraine, le patriarche Bartholomeos intègre à son clergé monseigneur Philarète et monseigneur Macaire. Il reconnaît l’indépendance de l’Église d’Ukraine sous sa juridiction et annonce la tenue d’un concile destiné à accorder l’autocéphalie à l’Église d’Ukraine.
C’est monseigneur Emmanuel Adamakis qui sera chargé d’organiser et de présider ce concile qui aura lieu le 15 décembre 2018. Anticipant ce concile et contestant sa légitimité, le patriarche de Moscou désavoua l’intervention d’Emmanuel Adamakis et annonça la rupture des relations et de la communion avec le patriarcat de Constantinople le 15 octobre 2018.
L’union de ces deux Églises donne naissance à l’Église orthodoxe d’Ukraine. Cette nouvelle Église est aussitôt approuvée par le président Porochenko. Elle sera reconnue quelques jours plus tard, le 5 janvier 2019, par le patriarche de Constantinople, par l’Église de Grèce, celle de Chypre, ainsi que par le patriarche d’Alexandrie. Aucune autre Église du monde orthodoxe ne reconnaît sa légitimité aujourd’hui.
Le 23 janvier 2019, le patriarche Bartholomeos publia un tomos (décret) accordant l’autocéphalie à l’Église d’Ukraine. C’est un peu comme si la Corée du Nord décidait d’accorder l’indépendance au Texas. Non seulement cela, mais comme si également le Texas utilisait la décision de la Corée du Nord pour faire valoir son indépendance au niveau international.
Toute cette opération était politique, voire géopolitique, ou financière par certains aspects, mais en aucun cas spirituelle. Elle a créé et attisé des tensions, sans avoir jamais eu le moindre objectif de paix entre les hommes.
Le seul à ne pas mettre d’huile sur le feu est le pape François qui, le 30 mai 2018, annonce le rejet de l’uniatisme comme moyen pour parvenir à l’union des Églises. Il annonce à la délégation russe qu’il reçoit que seul le dialogue peut permettre de parvenir à l’unité. Les uniates d’Ukraine au destin chaotique accusent le coup.
Porochenko ne pardonnera pas cette prise de position du pape. Le 5 septembre 2019, il demandera à ce que l’Église grecque-catholique rattachée à Rome quitte cette juridiction et soit rattachée à l’Église autocéphale ukrainienne, qu’il venait de mettre en place.
Porochenko utilisa la création de cette Église autocéphale ukrainienne pour être réélu en avril 2019 et focalisa le débat électoral sur cette question. Mais c’est Zelensky qui remportera l’élection, en promettant un rapprochement avec la Russie et la mise en application des accords de Minsk. Le Monde écrira que les Ukrainiens ont voté contre la corruption, la guerre et la pauvreté, associés à l’ère Porochenko.
Les Églises et la guerre aujourd’hui
Dans les faits, l’Église orthodoxe d’Ukraine continua d’exister aux côtés de l’Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Moscou. Mais d’innombrables conflits naquirent, où la nouvelle Église tenta de s’approprier les biens et les paroisses de l’Église dépendant de Moscou. Conflits souvent violents, et parfois même meurtriers.
Le Président Poutine cita cette tentative de séparer l’Église d’Ukraine du patriarcat de Moscou dans son discours du 23 février 2022 (30’20’’ sur la vidéo), pour invoquer la nécessité de protéger la population russe vivant dans les territoires ukrainiens. Et effectivement, les exactions devenaient de plus en plus nombreuses et violentes.
Le 22 mars 2022, le parlement ukrainien proposa une loi interdisant le patriarcat de Moscou sur le territoire ukrainien et la confiscation de tous ses biens.
La situation devenait si intenable pour elle que l’Église orthodoxe ukrainienne dépendant du patriarcat de Moscou condamna officiellement l’intervention russe en Ukraine. Par une décision collégiale du 27 mai 2022, elle annonça condamner cette intervention et rompre ses liens avec Moscou, son Église de rattachement.
Malgré cette séparation d’avec Moscou, l’Église orthodoxe ukrainienne subit de plus en plus de persécutions. De nombreux monastères ou paroisses furent investis par le SBU. Le 29 décembre 2022, sept monastères furent ainsi perquisitionnés avec la collaboration de représentants de la nouvelle Église autocéphale.
Cette situation poussa le patriarche Cyrille de Moscou à dénoncer : Des perquisitions sont menées partout : dans les diocèses, les monastères et les paroisses. Sous des prétextes farfelus, des poursuites pénales sont engagées contre le clergé et les croyants, qui sont également discrédités dans les medias. Les sanctuaires orthodoxes les plus importants pour notre peuple sont profanés.
La Laure des grottes de Kiev, dont je parlais en introduction, subit une première perquisition début décembre 2018. Puis une seconde, le 22 novembre 2022. Puis la saisie de tous ses biens et leur transfert à l’Église autocéphale ukrainienne le 1er janvier 2023.
Quelques jours plus tard, le 18 janvier 2023, devant le conseil de sécurité de l’ONU, le représentant permanent de la Russie déclare : En raison de la persécution de l'Église orthodoxe ukrainienne par Kiev, l'Ukraine s'est retrouvée au bord d'un conflit religieux d'une ampleur sans précédent. […] L'Ukraine n'est qu'à un pas d'une catastrophe religieuse interne fratricide.
Donc, que croyez-vous qu’il va se passer avec cette politique, que les gouvernements européens soutiennent par leurs actions ou par leur silence ? Que croyez-vous que feront tous ces Ukrainiens que l’on empêche de pratiquer leur foi, de parler leur langue, ou de manifester des signes de la culture qui est la leur ? Que feront des gens pieux qui n’ont pas de revendication politique autre que de voter pour des partis qui prônaient jusqu’à l’an dernier la simple application des accords de Minsk, tout comme Zelensky l’a lui-même promis ?
Conclusion
Je n’ai pas la réponse à ces questions. Mais il est clair que l’Ukraine est à la base le théâtre d’une guerre civile, et non d’une guerre d’invasion. Guerre civile qui, par définition, oppose des membres d’une même famille, des voisins, des citoyens d’un même pays. Et j’ai l’intime conviction que la Russie n’arrêtera pas son offensive, car elle sait qu’elle jouit du soutien d’une large part de la population dans les zones qu’elle reprend.
J’aimerais pour conclure revenir sur les sanctions que nous avons prises lorsque notre ministre, Bruno le Maire, a déclaré une guerre économique totale à la Russie. Non pas toutes les sanctions, mais celles visant les sportifs, les musiciens, les écrivains, les artistes, ainsi que des religieux dont nous avons parlé ici. Il était communément admis jusqu’à présent que certains domaines devaient rester en dehors du champ de compétence des hommes politiques, parfois parce qu’ils ne connaissent rien à ces domaines, mais surtout parce que ces domaines devaient être protégés à tout prix. Protégés, parce qu’ils sont précisément les domaines où les hommes peuvent partager des valeurs et se comprendre, même s’ils ne sont pas du même pays ou de la même culture.
Pire que toutes les autres sanctions, exclure les sportifs des compétitions, bannir l’apprentissage de certains auteurs, refuser d’interpréter des œuvres musicales de compositeurs du seul fait de leur nationalité, ou persécuter des hommes qui ne demandent qu’à vivre leur foi est la pire des idioties dont un homme politique soit capable. Parce que l’homme qui prend de telles sanctions oublie qu’il est là pour prévoir et préparer le futur de nos sociétés, et détruit les seuls éléments à travers lesquels tous les hommes peuvent se comprendre et coexister.