Samedi 31 octobre, Giorgi P. décidait que le père Nicolas Kakavelakis, pope orthodoxe grec à Lyon, avait suffisamment fait usage des charmes de sa femme, Lela K.-P., et réglait cette offense aux bonnes mœurs par deux coups de fusil au canon scié. Un choix simple qui ne s'encombrait pas de formalités administratives. La justice décidera si la simplification des procédures était outrancière.
Père Nicolas Kakavelakis - photo du communiqué de la Métropole grecque orthodoxe de France |
Trois jours après l'attentat de Nice, il n'y avait guère que les membres de la paroisse grecque de Lyon, ainsi que le métropolite Emmanuel Adamakis, supérieur religieux du père Nicolas Kakavelakis, à ne pas croire une seconde que cette attaque pouvait avoir une motivation terroriste.
Le métropolite se contenta d'un communiqué laconique qui surprit plus d'un journaliste, comme s'il craignait que les coups de fusil ayant touché le père Nicolas ne finissent par l'atteindre lui aussi. Son communiqué ne comportait pas un mot de compassion pour la femme et les enfants du père Nicolas, sans doute pour que l'on ne se demande pas où ils étaient à ce moment-là ni pourquoi ils se trouvaient là où ils étaient. Voici l'intégralité de ce communiqué :
Dans un entretien avec Pierre de Vilno sur Europe 1, le 1er novembre, le métropolite confirmera : Il avait terminé son mandat il y a un mois. On lui a demandé de retourner en Grèce. L'intégralité de l'entretien est disponible en téléchargement en suivant ce lien.
Fort heureusement, il n'y a plus aujourd'hui que quelques dévots à croire sur parole les affirmations des évêques. Les journalistes se contentent parfois d'en reproduire les propos, même s'ils savent qu'ils sont faux. Mais lorsque le mensonge est tellement éhonté, il convient de le relever et c'est ce que nous allons faire ici.
Le père Georges Vassilakis qui officie à la paroisse orthodoxe grecque de Grenoble, grand ami du père Nicolas Kakavelakis et son porte-parole officiel dans les jours qui ont suivi les coups de feu, affirmera que ce dernier avait donné sa démission il y a un mois.
La version du métropolite Emmanuel Adamakis et celle du père Georges Vassilakis, l'un parlant de fin de mandat et l'autre de démission, sont contradictoires : personne ne démissionne après la fin de son détachement. Je ne m'attarderai pas sur la version de la démission, car monsieur Vassilakis n'est pas le supérieur de monsieur Kakavelakis et qu'il n'a pas étayé son affirmation par un quelconque document. Je me contenterai d'analyser ici la version officielle de la fin de mandat évoquée par le métropolite Emmanuel Adamakis.
Il faut savoir que les prêtres grecs sont des ministres du culte. Leur employeur est la Métropole qui est une personne morale religieuse de droit public, indépendante de l’État. Mais ils sont payés par l’État. Pour compliquer le tout, monseigneur Emmanuel Adamakis dépend directement du patriarche de Constantinople, en Turquie, et ne rend aucun compte à l'Église de Grèce. Mais ceci est un autre sujet que nous n'aborderons pas ici.
Le père Nicolas Kakavelakis a cette particularité de cumuler deux emplois : celui de prêtre et celui d'enseignant, bénéficiant d'un salaire adapté.
Les prêtres-enseignants ont donc deux supérieurs hiérarchiques. Le supérieur religieux du père Nicolas Kakavelakis est le métropolite Emmanuel Adamakis à Paris. Son supérieur en tant qu'enseignant est la coordinatrice du Bureau de coordination de l'éducation à Bruxelles (Rue des Petits Carmes 6, 1000 Bruxelles, Belgique — edubru@gmail.com — Tél : 0032-2-5455519 et 0032-2-5455520).
Selon le Journal Officiel de la République hellénique, Nicolas Kakavelakis a été affecté en tant que prêtre en 2008.
Journal officiel de la République hellénique
Fascicule III — N° 962 — 16 octobre 2008 — p. 8
SAINTE MÉTROPOLE DE KISSAMOS ET SELINOS
Par l’acte n° 2/6/8.10.2008 du Conseil de service de la Sainte métropole de Kissamos et Selinos publié selon les dispositions en vigueur et l’acte n° 27/8.10.2008 de Monseigneur Amphilochios, Métropolite de Kissamos et Selinos, est nommé au poste organique vacant de prêtre de la Sainte église de Saint Pantéléimon de la Paroisse Aï Kyr Yianni (Kissamos), le prêtre Nikolaos Kakavelakis, fils de Stylianos et classé dans la catégorie d'enseignement primaire (18-1), à l’échelon initial 18, en tant que diplômé du département de théologie sociale de la faculté de théologie de l’Université d’Athènes.
Le Métropolite
† de Kissamos et Selinos, AMPHILOCHIOS
Selon le Journal officiel de la République hellénique (2020-07-01 JORH.pdf), la durée de détachement initialement prévue pour les enseignants à l'étranger est de trois années scolaires, prorogeable sous conditions deux ans de plus. Le détail des règles du Journal Officiel applicables en 2020 est précisé en français ici.
Le régime des prêtres-enseignants est différent. Ils bénéficient d’une prorogation, à leur demande, tous les ans, par décision ministérielle. En France, trois prêtres-enseignants sont dans ce cas. Le père Nicolas Kakavelakis, qui entama sa 16ème année de détachement à la rentrée de septembre, à sa demande, le père Michel Seliniotakis, à Nice, qui a entamé sa 27ème année de détachement cette année et Monseigneur Irénée Avramidis, évêque de Reghion, à Paris, qui en est à sa 17ème année de détachement.
Le principe de la fin de détachement n’existe donc pas pour eux, du moins pas tant qu’ils n’y renoncent pas de leur propre chef.
Pour l’année scolaire 2019-2020, la décision ministérielle est téléchargeable en cliquant ici. Pour l’année scolaire 2020-2021, la décision publiée sous le numéro Ω59Χ46ΜΤΛΗ-ΡΕΠ est téléchargeable ici.
Cette dernière décision, ayant pour objet la « Prorogation du détachement des prêtres-enseignants par Bureau de coordination, pour l’année scolaire 2020-2021 et 2021 pour l’Hémisphère sud, sans prime à la suite de leur demande » est datée du 1er septembre 2020.
Il faut souligner dans les différents points du « Au vu de : » préalables à la décision de la ministre de l’éducation, les points 12 et 16 :
12. [Vu] les demandes des prêtres-enseignants intéressés pour la prorogation de leur détachement.
16. [Vu] le document du 26.6.2020 de la Sainte Métropole de France.
NOUS DÉCIDONS
Nous prorogeons pour l’année scolaire 2020-2021 et l’année calendaire 2021 pour l’Hémisphère sud à la suite de leur demande, le détachement des prêtres-enseignants comme suit :
1. Bureau de coordination de l’éducation de Bruxelles
Matricule |
NOM |
PRÉNOM |
SPÉCIALITÉ |
ANNÉE DE DÉTACHEMENT (2020-2021) |
DIRECTION DE L’ÉDUCATION |
PAYS |
167496 |
AVRAMIDIS |
ARGYRIOS-IRINEOS |
EP01 |
17ème |
KASTORIA |
FRANCE |
585824 |
KAKAVELAKIS |
NIKOLAOS |
EP70 |
16ème |
Α′ ATHÈNES |
FRANCE |
574017 |
SELINIOTAKIS |
MIHAÏL |
EP70 |
27ème |
LA CANÉE |
FRANCE |
Les prêtres enseignants mentionnés dans ce document recevront uniquement leurs émoluments normaux en Grèce, sans la prime spéciale étranger.
Le montant des billets de retour définitif en Grèce d’eux-mêmes et des membres de leur famille à leur charge leur sera versé s’il ne l’a pas été par le passé et après soumission dans les délais des preuves exigées pour la publication de la décision relative à la prise d’obligation, avant leur retour définitif, tel que prévu par les dispositions de l’article 66 de la loi 4270/2014 (Α΄ 143) et du décret présidentiel 80/2016 (Α΄ 145).
Les susnommés, sans autre avis, doivent se présenter à la Direction de l’éducation en Grèce, dont ils dépendent et de prendre leur service à l’expiration de leur détachement.
Le point numéro 16 de cette décision montre donc que le métropolite Emmanuel Adamakis a lui-même soutenu la demande du père Nicolas Kakavelakis par un courrier du 26 juin 2020 pour que celui-ci soit réaffecté à Lyon pour l'année scolaire 2020-2021. Contrairement à ses affirmations, il était donc parfaitement au courant que la période de détachement du père Nicolas n'avait pas pris fin.
Le père Georges Vassilakis affirmait que le père Nicolas Kakavelakis avait donné sa démission un mois avant qu'on ne lui tire dessus. Giorgi P. lui a tiré dessus le 31 octobre. Un mois plus tôt, le 29 septembre, le père Nicolas commençait une année scolaire en prévenant ses élèves qu'il continuerait à leur donner cours. Il a donné ses cours jusqu'à ce qu'on lui tire dessus. Il avait au moins quatre élèves adultes qui ont payé 150 € chacun de frais d'inscription pour suivre les cours toute l'année scolaire 2020-2021. Là encore, contrairement à ce qu'affirme le métropolite Emmanuel, un mois avant d'avoir eu maille à partir avec Giorgi P., le père Nicolas ne se préparait donc absolument pas à repartir en Grèce.
Capture d'écran du site de la Communauté hellénique de Lyon - 21.11.2020 |
S'il continuait ses activités d'enseignement et qu'il n'envisageait pas de les arrêter avant la fusillade, le père Nicolas avait, par contre, stoppé toute célébration religieuse après le 27 septembre. Ainsi, le dimanche 4 octobre, le métropolite Emmanuel avait dû envoyer de Paris à Lyon son vicaire, monseigneur Maxime, pour remplacer le père Kakavelakis ; les 11 et 18 il a envoyé le père Anton Gelyasov, un Biélorusse venu du Mans spécialement pour célébrer la messe ; le 25 il a envoyé le père Joachim Tsopanoglou de Marseille. Pendant ce temps, le père Kakavelakis était dans son appartement au-dessus de l'église et n'est pas allé à l'office.
À ce propos, Le Parisien cite Nicolas Angeloudis
dans un article du 31.10 pour dire qu'il avait vu le père Nicolas
Kakavelakis à l'office le dimanche précédent les tirs. Contacté par un
autre quotidien national, Nicolas Angeloudis a dit qu'il n'avait jamais parlé au Parisien et qu'il n'avait pas vu le père Nicolas à l'église mais dans son appartement.
Un
prêtre en fin de mandat continue à célébrer jusqu'à sa
nouvelle prise de fonction. Il n'y a en ceci rien de différent avec
n'importe quelle autre profession. Je dirai même que le père Nicolas avait l'obligation de célébrer du fait qu'il
continuait à être payé pour le faire en étant toujours sur son lieu d'affectation. Seul un ordre direct du métropolite Emmanuel avait pu le contraindre à ne plus célébrer aucun office. D'après une source proche du métropolite, ce dernier avait formellement interdit au père Nicolas de célébrer début octobre dans l'attente d'une procédure de révocation et c'est ce qui expliquerait qu'il ne se rendait même plus aux offices.
Bien
que ne célébrant plus et en partie confiné dans son appartement, le
père Nicolas Kakavelakis se dirigeait inexorablement vers son destin.
Passé l'inéluctable, il reste maintenant la question de savoir pourquoi le métropolite Emmanuel Adamakis a décidé de mentir en affirmant que le père Kakavelakis était en fin de mandat et devait repartir en Grèce. Pourquoi a-t-il fait un communiqué si laconique suite à l'attaque ayant visé un prêtre qu'il avait toujours soutenu avec ferveur ? Et pourquoi le père Nicolas Kakavelakis ne célébrait-il plus alors qu'il continuait à enseigner ?
Pour paraphraser un journaliste bien connu, les Français veulent savoir ! Car, comme le disait Raymond Queneau, l'erreur, le crime et l'adultère : voilà tout ce qui rend les hommes intéressants.