de l'intérieur d'une communauté

Quels que soient les groupes sociaux, on ne voit souvent d'eux que la partie « marketing ». Celle qui est bien présentable et que l'on souhaite mettre en évidence, au mépris souvent de la réalité. Ce blog, qui se revendique comme un blog d'information, va tenter de présenter la vie de la communauté hellénique de Lyon par ceux qui la vivent de l'intérieur.
J'ai connu deux hommes qui ont dignement représenté la communauté hellénique : monseigneur Vlassios et le père Athanase Iskos. Ils n'ont jamais eu à rougir de ce qu'ils ont fait ou dit et ont laissé une communauté respectée et respectable. Le contraste pourra paraître saisissant entre les 50 ans qui viennent de s'écouler et ce qui se passe depuis plus de six ans, mais si l'on veut rester fier de ce que l'on est, il ne faut pas hésiter à prendre ses distances lorsque ce que l'on voit s'éloigne de nos idéaux.
Dans un premier temps, je vais raconter une histoire au travers de courriers échangés et de documents, qui seront tous reproduits. Dans un second temps, je débattrai autour des questions qui seront posées à mon adresse mail : jeanmichel.dhimoila@gmail.com .
La communauté hellénique de Lyon étant une association cultuelle, loi 1905, les références au culte seront nombreuses et indispensables pour comprendre le sens de ce qui est recherché, et malheureusement parfois ses dérives.

Bonne
lecture à tous

samedi 31 mars 2012

35- Politique et religion

La vie d'une paroisse est faite de petites anecdotes, de vies qui s'entrecroisent, de projets, d'activités communes, mais elle est également indissociable de la vie civile. Quand la liturgie se termine et que l'on prend un café, les frasques du père ne sont pas souvent dans les conversations. C'est plutôt le dernier score de l'OL, qui s'est fait sortir face aux Chypriotes de Nicosie, ou qui a éliminé le PSG en Coupe de France. C'est également la politique, surtout en ce moment de campagne électorale, ou encore les événements tragiques de Toulouse.

Bien que l'association en tant que telle s'interdise, à l'article 3 de ses statuts, toute action ou discussion politique, chacun reste, en son nom propre, libre de ses opinions et celles-ci font l'objet de discussions légitimes ; non pas dans le cadre d'une position officielle des responsables de la communauté, mais dans celui de la richesse des idées de chacun qui s'exprime légitimement.

La question de la politique a toujours été une question clé dans le christianisme. D'abord parce que le Messie, le Christ, est celui qui était attendu par tout le peuple élu de l'Ancien Testament, celui qui devait restaurer la royauté d'Israël.

Cette image de royauté a été comprise par beaucoup comme étant celle d'une royauté temporelle. Cette vision était tellement marquée que Judas, l'un des douze disciples du Christ, n'a suivi ce dernier que parce qu'il pensait que le Christ était ce prochain roi : humble comme le roi David quand il était encore pasteur, mais appelé à régner sur le peuple. Il l'a trahi quand son rêve de gloire terrestre s'est écroulé avec les discours incohérents du Christ - à ses yeux - qui guérissait même les ennemis romains.

Le Christ a bien précisé, à Pilate : Tu le dis, je suis Roi (Jn 18, 37). Mais cette phrase complète ce qu'il venait de dire : Mon royaume n'est pas de ce monde (Jn 18, 36). Les chrétiens ont traversé les premiers siècles de leur existence sous les persécutions, persuadés que la mort qu'ils enduraient pour leurs idéaux n'était que le passage vers ce royaume sur lequel le Christ règne pour les siècles des siècles. Comme nous aurons l'occasion d'y revenir, ils sont aujourd'hui encore, et plus que jamais, victimes de ces persécutions en Palestine, en Égypte, ou en Irak.

Les chrétiens se sont adaptés à tous les gouvernements des pays dans lesquels ils se trouvaient. Certains, comme saint Georges, qui vécut sous le règne de Dioclétien, étaient même parmi leurs proches conseillers. Mais ils n'ont jamais cherché à imposer leur vision du monde. C'est à travers l'exemple qu'ils donnaient autour d'eux que les conversions s'opéraient.

Cette situation a subi un tournant radical avec l'arrivée de Constantin au pouvoir. Lorsque Constantin se préparait à prendre Rome, lors de la bataille du Pont Milvius, le 28 octobre 312, son armée et lui eurent la vision d'une croix dans le ciel et il entendit : " Par ce signe, tu vaincras. " Il fit broder la croix sur ses étendards, vainquit Maxence, pris Rome, et régna sur un empire immense. Il transféra sa capitale de Rome à Byzance, petite ville sur les rives du Bosphore, qu'il fit rebaptiser Constantinople (ville de Constantin).

Il mit fin aux persécutions contre les chrétiens par l'édit de Milan, en avril 313, qui accorde à chacun le droit d'adorer à sa manière la divinité qui est dans le ciel. Le christianisme se répandit beaucoup plus facilement à partir de ce moment-là. Il transforma les lois et obligea les évêques du monde à se réunir pour mieux définir leur doctrine et arrêter leurs querelles. Ce fût le premier concile œcuménique, en 325, à Nicée, qui affirma la divinité du Christ suivant cette parole de l’Évangile de Saint Jean : Au commencement était la Parole, et la Parole était auprès de Dieu, et la Parole était Dieu (Jn 1, 1).

Les différentes églises locales, représentées par leur évêque, se sont constituées en ensembles géographiques et politiques autour de Patriarches, pour répondre à de nouveaux besoins d'organisation et de représentation. Depuis ce temps, les chrétiens ont toujours été pris par cette question : comment concilier le fait que nous vivons pour mériter l'accès au Royaume éternel du Christ, et le désir légitime de donner ce que nous avons de meilleur à ceux qui comptent pour nous ? Comment concilier l'amour des ennemis, au cœur du message du Christ, et la protection de ceux qui nous sont proches contre toutes les menaces de ce monde où règnent la violence et la mort ?

Les premiers chrétiens, dont Saint Pierre déjà (1Pi, 2, 13), ont estimé que cette parole du Christ à Pilate : Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi s'il ne t'avait été donné d'en haut (Jn 19, 11), était une forme de reconnaissance de l'autorité, quelle qu'elle soit, à laquelle ils se devaient d'être obéissants, comme le Christ avait été soumis en acceptant sa crucifixion. Mais reconnaître la main de Dieu dans toute forme d'autorité pose un problème auquel les chrétiens ont été confrontés très tôt : que faire si ce dirigeant me demande de commettre une injustice ?

Dois-je tuer si on me le demande ? Et si c'est un frère ? Est-ce que c'est Dieu qui me demande de tuer, alors que dans l’Évangile le Christ commande le contraire ? Si je me révolte et que je renverse ce dirigeant avec d'autres chrétiens, est-ce que je suis opposé à Dieu qui lui avait donné son autorité, ou est-ce que je suis la nouvelle autorité légitime que Dieu a voulu mettre en place ?  Si le gouvernant inique est pour son peuple l'équivalent de la lèpre pour un homme, alors pourquoi guérir la lèpre et laisser en place le gouvernant ? Mais se révolter contre des dirigeants que l'on trouverait indignes au nom de Dieu ne conduit-il pas à faire de Dieu un révolutionnaire permanent ? Cela ne dénaturerait-il pas le message du Christ qui est venu pour prêcher l'amour entre les hommes ? Et si c'est moi qui mets en place un dirigeant, est-ce que c'est Dieu qui le met en place à travers moi, ou est-ce que je n'ai mis en place que ce qui correspond à mes intérêts, sans aucun lien avec Dieu ?

Les paroles du Christ ont un sens, et en soustraire certaines peut induire de grandes confusions. Le Christ n'a jamais dit à Pilate : " Tu n'aurais aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut ", ce qui aurait fait de Pilate un gouvernant de droit divin, comme s'en sont revendiqués certains rois de France. Il a dit : " Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut. " Le qualificatif sur moi montre clairement que Pilate, simple mortel, ne peut pas avoir de pouvoir sur le Christ, Fils de Dieu, si Dieu ne le permet pas.

Quant aux relations avec les hommes politiques, le Christ les a clarifiées lorsqu'il a dit : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Mc 12, 17). Les chrétiens se sont toujours soumis aux autorités, mais uniquement lorsque ce qui leur était demandé n'entrait pas en contradiction avec le message de l’Évangile. Si nous obéissons sans discernement, et que nous sommes à l'époque de la seconde guerre mondiale, alors il faut livrer les juifs, les roms et les malades mentaux parce que la loi du Reich nous le demande. C'est une aberration !

Dietrich Bonhoeffer était un pasteur protestant allemand qui fit prendre conscience à beaucoup d'églises locales qu'elles ne devaient pas suivre Hitler. Il a même été impliqué dans l'attentat du 20 juillet 1944 contre Hitler, ce qui lui valut de passer en cours martiale et de finir pendu dans le camp de concentration de Sachsenhausen. Il avait parfaitement compris la limite de la légitimité d'un pouvoir temporel et de l'acceptation de celui-ci.
 
Si donc une autorité ne peut se prévaloir d'aucune prérogative divine, le chrétien ne peut davantage considérer que la politique est une finalité. L'homme politique, au même titre que les membres du clergé, et au même titre que chaque homme en particulier, ne peut que chercher à faire ce qui lui semble juste. Mais, ayant plus reçu, il lui sera plus demandé au jour du Jugement (Lc 12, 48).

Pourtant, Kosmas d'Étolie, considéré comme le Père de la Grèce moderne, a appelé au soulèvement contre les Turcs, et l'a même organisé. Et la multitude de miracles qu'il faisait a permis de fédérer le peuple autour de cette idée d’insurrection. Nous poursuivrons donc cette réflexion politique, dans le prochain message, en essayant de comprendre ce qui pousse des communautés à se soulever contre leurs dirigeants.

mardi 27 mars 2012

34- Col romain et rason orthodoxe



Le col romain, qui s'impose à l'ensemble du clergé catholique sous le pontificat de Pie XII, est dans la continuité des traditions vestimentaires de l’Église catholique romaine depuis le concile de Trèves, en 1238. À cette époque, la volonté du clergé catholique était d'avoir un habit sobre qui le différencie des laïcs, un habit qui marque la dignité portée par le prêtre lorsqu'il célèbre devant l'autel. Cet habit venait de la toge romaine qui différenciait les dignitaires : magistrats, médecins, professeurs...

Le code de droit canonique de 1983 prévoit, dans son canon 284, que les clercs porteront un habit ecclésiastique convenable, selon les règles établies par la conférence des évêques et les coutumes légitimes des lieux. Mais il s'agit là du droit canonique des catholique qui prévoit, au canon 273, que les clercs sont tenus par une obligation spéciale de témoigner respect et obéissance au Pontife Suprême (le pape) et chacun à son Ordinaire propre. Sauf à considérer que c'est maintenant le pape de Rome dont il sera fait mention dans les prières de notre église, l'adoption de leur droit canonique en matière vestimentaire est pour le moins surprenante de la part d'un prêtre orthodoxe. 

Même si monseigneur Emmanuel a semble-t-il autorisé le père Nicolas Kakavelakis à suivre la mode clergyman propre aux catholiques post-Vatican II, il ne fait aucun doute qu'il s'agit là d'une lubie personnelle qui n'engage que lui. Peut-être s'agit-il, dans son esprit, d'un pas de plus vers une assimilation lente avec les catholiques, après celui qui a consisté à faire un office commun avec les autres religions tout en ayant porté l'étole ? Monseigneur Emmanuel, sollicité pour apporter des précisions sur ces nouvelles règles vestimentaires, n'a pas souhaité réagir. 




Dans la tradition orthodoxe, l'habit ordinaire porté est le rason. Il est, sans distinction de rang, porté par les moines, les prêtres et les évêques. Cet habit a la particularité, sans jamais avoir été imposé, d'être porté dans tout le monde orthodoxe, du fin fond de la Sibérie à la plus reculée des îles grecques, en passant par la Serbie ou le Sinaï. 



Il arrive fréquemment que les prêtres qui officient en paroisse ne portent pas d'habit particulier et qu'ils ne mettent le rason que lorsqu'ils sont en " représentation ". Cela ne gêne personne, parce que le port de l'habit est une coutume, et non un dogme. La coutume fait partie d'un ensemble de traditions, mais a un côté " facultatif ". Elle a un sens, mais pas de caractère contraignant.



Est-ce que cela me gêne que le père Nicolas adopte la mode vestimentaire des catholiques ? Non ! Pas plus que s'il portait une kippa ou une djellaba. Simplement, cela entraîne de la confusion. Et l’Église a pour mission de rendre témoignage à la Vérité, tout comme saint Jean le Précurseur nous en a montré la voie (Jn 5, 33). On trouve difficilement la vérité dans la confusion.

Si cette question d'habit est somme toute anecdotique, il y a par contre une chose qui m'a mis très mal à l'aise. Il y avait une vieille dame, dans la maison de retraite qui est face à l'église, qui venait assister à la liturgie. Cette vieille dame était catholique mais était trop fragile pour aller dans son église. Elle rassemblait parfois ses dernières forces pour traverser la rue, assister à l'office et communier. D'un point de vue canonique, les Églises catholiques et orthodoxes ne sont pas en communion depuis le XIème siècle. D'un point de vue purement rigoriste, elle ne pouvait donc pas communier chez nous. Pourtant, le père Athanase ne disait rien : il voyait tous les sacrifices que cette vieille dame faisait pour traverser cette rue, toute sa bonne volonté et toute sa foi, et il lui donnait la communion. 

Cela me faisait penser à la Cananéenne qui demandait au Christ de guérir sa fille. Mais celui-ci refusa et lui dit qu'il était venu uniquement pour les brebis perdues de la maison d'Israël. La femme continua sans interruption à implorer le Christ qui, voyant sa foi, guérit sa fille en lui disant : Femme, ta foi est grande, qu'il te soit fait comme tu veux (Matth. 15, 21-28). Cela m'a fait mal le jour où le père Nicolas a interdit à cette vieille dame de communier en lui disant qu'elle n'était pas orthodoxe. C'était comme s'il ne comprenait pas qui il avait en face de lui.

Alors, est-il concevable d'être si rigoriste envers une vieille dame aux portes de la mort et en même temps si laxiste envers les traditions de sa propre Église ?

mercredi 14 mars 2012

33- Eleftherios Sereslis



Parmi les personnes que j'ai toujours connues dans la communauté, il y a Eleftherios et Niki. C'est leur fils Manos qui m'a appris comment faire le service dans le sanctuaire. Eleftherios est mort il y a quelques jours, des suites d'une maladie due à son grand âge. Je vais simplement reproduire l'hommage que lui a rendu le père Athanase et qui a été lu lors de ses funérailles. Le texte grec est visible ici.


A la mémoire de notre très cher M. Eleuthère Sereslis.

C’est dans une grande peine que se sont rassemblés aujourd’hui autour de ton cercueil et auprès de ta famille, des amis et connaissances ainsi que nous, de plus loin, depuis Ioannina, mais près de toi par nos prières, afin de t’adresser un dernier adieu et de te guider vers ta dernière demeure.

En ce jour qui marque ton départ de ce monde vain, la Communauté Grecque de Lyon ainsi que ta famille sont en deuil et attristés, l’Église des Cieux, cependant, se réjouit de ton arrivée en ces lieux où résonnent toujours des chants mélodieux. Aujourd’hui ton âme pure s’élève et restera à jamais en ces lieux de joie perpétuelle et éternelle.

Depuis Petra, sur l’île de Lesbos, ta terre natale, tu es venu et t’es installé à Lyon, que tu as aimé comme une seconde patrie. Tu n’as jamais cessé de penser avec nostalgie aux charmes de ton petit village ainsi qu'à la beauté des eaux si bleues et cristallines qui entourent ton île. Ta vie était basée sur l'amour de ces deux douces patries.

Avec ta très chère et très aimée épouse, Niki, vous avez bâti le foyer familial sur des valeurs telles que l’amour, l’honnêteté, et le goût du travail. A tes enfants et petits-enfants tu as enseigné les traditions chrétiennes et transmis les fruits de leurs réussites présentes, qui furent à la hauteur de tes espérances. Tu as semé dans leurs cœurs l’amour, la dévotion, l’attachement à la Grèce et une foi durable et inébranlable en l’Orthodoxie.

Ton âme compréhensive était le siège de nombreuses vertus, notamment la pureté, la simplicité et la bonté. Toute ta vie sur cette terre se résume à une offrande humble d’amour et de diaconat. Tu étais un homme remarquable. Tu faisais partie de ces héros qui s’expriment avec leur cœur. Tu as toujours été à mes côtés, depuis le premier jour de mon arrivée en France, tu m’as entouré, soutenu et conseillé avec amour et bonté. L’Église était ta deuxième maison. Dans le chœur, tu participais, en nous offrant le timbre de ta voix, à la splendeur de nos Liturgies. Tu étais infatigable et toujours enjoué. Tu passais la plupart de ton temps dans la cour de l’Église, tu la décorais, tu l’enjolivais, tu en faisais un véritable paradis terrestre.

Maintenant que tu te trouves au côté du Seigneur, repose dans la tranquillité, et prie, pour ta famille, pour tous ceux d’entre nous qui t’avons connu, mais aussi pour ton Église. Soit certain que tu seras toujours dans mes prières. Ton souvenir restera à jamais gravé dans nos cœurs.

dimanche 11 mars 2012

32- Le bon pasteur, la brebis et le loup



Lorsque l'on est gêné par une situation, on préfère souvent fermer les yeux et se dire que chacun a sa vie et que ça ne nous regarde pas. La plupart du temps, c'est vrai. Sauf lorsque la personne en cause agit avec un mandat pour nous représenter : un policier qui va voler, un pompier qui va mettre le feu, un homme politique qui sera corrompu... comme je l'ai développé dans le message 2. Le cas du prêtre va encore plus loin car il se présente comme voulant nous donner un exemple pour nos vies privées.

Depuis un an maintenant, certains ont vu dans l'histoire de mademoiselle P. une immixtion dans une vie privée. Mais est-ce moi qui ai fait cette immixtion dans la vie privée du père Nicolas ? N'est-ce pas plutôt le père Nicolas qui l'a faite dans la vie de mademoiselle P. ? Lorsque le père Nicolas vient me voir pour me proposer de devenir prêtre, ne s'agit-il pas également d'une immixtion dans ma vie privée ? A quel titre son intervention dans ma vie serait-elle légitime et la mienne dans sa vie non ? Je crois que les deux interventions sont légitimes.

Si le père Nicolas est prêt à faire prendre à ma vie un cours différent, n'est-il pas juste qu'il y soit confronté lui aussi ? Qui est l'arbitre si le père Nicolas n'est pas content que je lui applique les règles qu'il veut pour moi ? Le Christ a aboli toutes les barrières entre les hommes. L’Évangile est la règle du jeu qu'il nous propose et tout le monde est à égalité dans ce jeu. Quelqu'un veut y jouer ? Alors il doit avoir conscience que cette règle est d'abord pour lui, car lorsqu'il va vouloir l'appliquer aux autres, elle lui sera opposée à chaque instant. C'est un peu comme Jumanji : si tu commences, c'est trop tard...

Que disent donc ces règles ? Si un homme a cent brebis et que l'une d'elles s'égare, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres sur les montagnes pour aller chercher celle qui s'est égarée (Matth. 18, 12) ? Ces règles disent encore : " Le mercenaire, qui n'est pas le berger, et à qui n'appartiennent pas les brebis, voit venir le loup, abandonne les brebis et prend la fuite. [...] Je suis le bon berger. Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent (Jn 10, 12-16). " 

Il y a moins de gratification immédiate à être le bon pasteur, j'en conviens. Mais mettons-nous dans la peau de celui-ci quelques minutes. La petite brebis s'est égarée, elle cherche son chemin et demande de l'aide. Elle vient d'échapper aux pièges de la montagne et a manqué de se faire dévorer déjà plusieurs fois. Dois-je lui apporter un peu d'aide, ou bien dois-je la laisser se débrouiller en pensant : " Quelle conne cette brebis, de toute façon elle est foutue, alors qu'elle se taise. Le pauvre loup ! J'espère qu'elles ne sont pas toutes aussi chiantes avec lui. Qu'est-ce qu'il doit supporter, quand même ! " Mais dire cela revient à me mettre dans le rôle du mercenaire alors que c'est le pasteur que j'essayais de cerner.

Bon ! Reprenons ! Je vois une petite brebis qui gambade et qui a tous ses problèmes au même titre que chacun d'entre vous a les siens. Elle vient me voir pour discuter. Est-ce que je dois me dire : " Hummmmm... que voici une charmante petite brebis bien appétissante ! " ? Ne serais-je pas plutôt le loup si je raisonne ainsi, malgré mon déguisement de pasteur ?

Ce n'est pas encore ça ! Comme le rôle n'est pas facile à cerner, je crois que si une petite brebis en difficulté se présente, je ne vais pas bouger. Je vais rester bien sagement à attendre que l'on ne parle plus de cette brebis. Et puis, si j'entends quelqu'un qui voudrait que la petite brebis soit aidée, je dirai que j'ai fait une enquête approfondie et qu'il ne s'est rien passé. De toute façon, si je suis le pasteur, cela signifie que les autres sont des brebis. Et, par définition, une brebis ne se plaint pas. Je n'aurai donc rien à craindre de ce côté-là. Mais est-ce que je ne redeviendrai pas alors une petite brebis comme les autres si j'adopte ce comportement, malgré mon déguisement de pasteur ?

Reprenons encore ! C'est vrai, le rôle du bon pasteur n'est pas terrible. Il était tranquille auprès de ses 100 petites brebis qui payaient toutes leur cotisation annuelle avec du lait et de la laine. Ils formaient une bonne entente. On envoyait quelques fromages au patron des différents pasteurs pour qu'il nous laisse tranquille et, d'un coup, il faut tout laisser pour une brebis que l'on n'est même pas sûr de retrouver. En plus, on risque une entorse et de perdre une autre brebis si on va chercher celle qui vient de s'enfuir.

La morale de tout ceci ? Il n'y a que lorsque vous êtes vraiment le bon pasteur que vous pouvez vous permettre d'aller demander à quelqu'un de vous suivre pour qu'il soit lui aussi pasteur. Parce que si vous êtes le loup, vous ne pourrez faire de votre recrue qu'un loup de plus. Si vous êtes une brebis, vous n'arriverez pas davantage à en faire un pasteur. Et si vous êtes mercenaire, que pourrez-vous transmettre ? C'est donc ici que s'achève l'histoire d'une vocation avortée : recruté par quelqu'un qui aime autant l'argent que les femmes et que le pouvoir ; quelqu'un tout à la fois brebis, mercenaire et loup, mais certainement pas pasteur.

Alors, comme je ne suis ni le bon pasteur, ni le mercenaire, ni le loup, c'est donc que je ne suis que la gentille petite brebis qui reste bien sagement dans le troupeau et qui se demande parfois pourquoi personne n'est allé chercher la 100ème petite brebis, et même la 99ème qui est partie aussi, et même la 98ème que l'on ne revoit plus, et peut-être encore la 97ème qui ne devait pas s'absenter longtemps, et peut-être aussi la 96ème... Et peut-être que je me demanderai aussi pourquoi on a voulu me faire disparaître du troupeau des gentilles petites brebis quand j'ai voulu savoir pourquoi il ne restait plus beaucoup d'autres gentilles petites brebis.

vendredi 9 mars 2012

31- L'heure du choix



Nul n'est prophète en son pays (Mc 6, 4). C'est sur ces mots que le Christ, désabusé, quittait Nazareth dans l'indifférence générale.
 
Outre le fait que je ne sais pas chanter, que je ne parle pas grec, que je n'ai pas le niveau d'instruction suffisant, que je ne sais faire preuve d'aucune diplomatie, il aurait fallu que je quitte Lyon si j'avais accepté de devenir prêtre. Cela aurait été une conséquence lourde pour mes enfants. Le père Nicolas m'a bien proposé de m'occuper de Pont-de-Chéruy, ou de prendre la paroisse du père Antoine. Il m'avait dit que le père de Pont-de-Chéruy allait bientôt partir, même si ce n'était pas encore connu. Et puis le père Antoine n'est pas très bien vu du métropolite depuis le procès contre Alice...
 
Pour représenter une personne morale (la métropole en l’occurrence) devant la justice, il faut un mandat des administrateurs de cette personne morale. Monseigneur Emmanuel avait donc réuni les représentants de toutes les paroisses de France pour avoir le mandat de les représenter en justice dans le procès qu'il voulait intenter à Alice pour récupérer la maison de retraite et le foyer d'étudiants. Le père Antoine s'est abstenu lors du vote. Monseigneur Emmanuel a donc eu la majorité de son conseil pour saisir la justice, mais pas l'unanimité. Je ne me prononce pas sur le bien-fondé de ce procès car les échos que j'ai eus des deux côtés permettent d'avoir une idée de ce qui s'est passé, mais pas d'en appréhender vraiment la vérité. Je sais juste que le père Antoine est aimé dans sa paroisse et que je ne vois pas ce que j'aurais apporté à le remplacer.
 
Reprendre une paroisse de Lyon n'était pas envisageable. Obéir à un évêque auquel j'aurais été soumis ne l'était pas davantage. Il est vrai que cela limite beaucoup les chances de réussite d'un tel projet !
 
Et puis, plus généralement, on ne peut aller vers quelque chose que lorsque l'on a mis à jour ses propres affaires. Sinon, on retrouve ses problèmes là où l'on va. C'est le principe de sagesse de construire sur des fondations solides (Matth. 7, 26). Il me reste beaucoup de choses à mettre en ordre dans ma vie avant de me présenter aux autres comme un modèle.

Je m'imposais donc de ne prendre aucune décision et d'observer attentivement ce qui se passait pour ne pas avoir à regretter mon choix, quel qu'il soit. L'année 2010 se terminait et avec elle passait la date avant laquelle le père Nicolas voulait me marier. Les travaux du presbytère se poursuivaient avec leur lot de problèmes à gérer. Les élections du comité étaient fixées pour février. Nous continuions à  parler de la meilleure façon de procéder pour que le père Nicolas soit entouré d'un comité qui le soutienne. Il y a de nombreuses façons pour y arriver.

Le père avait identifié ceux qui s'étaient le plus opposés aux travaux et ceux qui avaient le plus d'autorité. Ces personnes-là devaient être minoritaires dans le nouveau comité, ou accepter sans réserve sa façon de procéder. Il s'agissait de S. à cause de son tempérament fort et du fait qu'il était respecté, de N. qui voulait renouveler son mandat de président et qui était très attaché au père Athanase, de L. à cause de l'influence possible de sa mère, de V. à cause de son ambition et du fait qu'elle s'était opposée à changer les fenêtres de son appartement et la cuisine, et de A. à cause du fait qu'elle avait inscrit plusieurs fois à l'ordre du jour du comité, en tant que secrétaire, un point sur les travaux de réfection sous la dénomination désidérata du père. Ces personnes-là pouvaient potentiellement s'opposer aux modifications de statuts qui étaient le but principal de la venue du père Nicolas.

A leur place, il fallait mettre le plus de jeunes possibles (moins de caractère et plus influençables), ou bien des personnes sans lien avec les familles influentes. Seule ma cousine lui semblait indispensable à cause du soutien que l'évêque lui apportait et de sa docilité à l'institution. Je reviendrai dans un autre message sur ce soutien, car il faudrait approfondir la quasi faillite de la métropole et le limogeage de monseigneur Jérémie pour le comprendre.

Le père ne pouvait pas dire ouvertement de voter pour un tel plutôt que pour un autre, mais il pouvait multiplier les candidatures de personnes plus faciles à gérer, et faire circuler le message de voter pour des jeunes. 

Comme je l'ai écrit dans le roi de l'Ouganda, je ne voyais pas encore que le père Nicolas avait des discours différents suivant les personnes auxquelles il s'adressait. J'ouvrais les yeux pour voir comment des paroissiens se comportaient avec leur prêtre, parce que cela pouvait me concerner, je voyais certaines choses chez le père qui commençaient à me mettre mal à l'aise, mais je continuais à suivre ce qu'il demandait.

Caroline s'occupait de la chorale des enfants, des manifestations œcuméniques, elle chantait dans le chœur. Moi je faisais les travaux, le catéchisme pour les adultes et l'accueil des classes scolaires.

Le dimanche 30 janvier 2010, le père a réuni 4 personnes : V., M., Caroline et moi. Il nous a expliqué que les élections approchaient, qu'il avait bien réfléchi, et que je ne devais pas me présenter. Qu'il avait interdit à sa femme de se présenter également. Que Caroline devait se présenter pour rester près de lui et l'aider. Que moi, la métropole ne voulait pas m'exposer pour ce que je savais (la prêtrise). Que j'étais son ami et que, s'il le fallait, il pouvait convaincre la métropole de changer sa position.

Cette conversation m'a mis très mal à l'aise. D'abord parce que V. était restée longtemps en tête de sa " liste noire " des personnes ambitieuses qui pouvaient le gêner, et qu'il semblait qu'elle voyait son rôle dans les différentes associations comme un tremplin pour devenir consul à la place du consul. Il ne l'avait mise dans son futur organigramme que lorsqu'il avait eu l'assurance qu'elle suivrait ce qu'il demanderait.

Ensuite, je savais qu'il mentait en disant qu'il m'interdisait de me présenter au même titre qu'il l'avait interdit à sa femme parce que celle-ci m'avait dit, lors d'un café qui suivait la liturgie, que le père avait fait tout ce qu'il pouvait pour qu'elle se présente aux élections, mais qu'elle avait refusé. C'était la première fois qu'il m'appelait son " ami " et ça ressemblait plutôt à un coup de poignard dans le dos. J'ai compté les 5 fois qu'il a utilisé ce qualificatif dans les jours qui ont suivi.

Depuis que je suis en âge de voter, je n'ai jamais voté aux élections du comité, et me suis encore moins présenté pour être élu. J'ai simplement aidé quand on me disait qu'il y avait besoin. Je devais me présenter lors de ces élections à la demande du père Nicolas Kakavelakis. Il avait vu que j'étais un soutien et que j'avais refait son appartement tel qu'il l'avait voulu, et subitement il s'opposait à ce que je me présente, qui plus est en mentant. Quelques temps plus tôt il me parlait de choses confidentielles et là il ne prenait même pas la peine de m'avertir de sa décision de m'exclure lorsque nous étions seul à seul.

Les statuts disent que n'importe quel membre de la communauté peut se présenter, mais que l'élection est soumise à la validation de l'évêque. J'aurais donc pu me présenter contre la volonté du père, et voir ensuite ce qui allait se passer. Mais je ne convoitais rien en ayant accepté de me présenter à ces élections. Par contre, ce qui a créé en moi un très grand désir, c'est de savoir quelles étaient les véritables motivations du père Nicolas.

Est-ce qu'il agissait de lui-même ? Était-ce pour faire plaisir à quelqu'un ? Qui croyait être suffisamment influent pour m'empêcher de faire quelque chose ? Est-ce que c'était pour avoir toujours dit que je n'accepterais pas qu'il y ait un prix sur les sacrements ? Est-ce que cela venait de l'évêque, comme il l'a dit à quelques personnes ? Est-ce que l'évêque n'était au contraire qu'un faire-valoir, au même titre que le comité n'avait été qu'un faire-valoir durant les travaux ? Est-ce qu'il agissait pour garder sa liberté de mouvement envers les jeunes filles ? Certains sont même allés jusqu'à dire que sa femme avait trop d'admiration pour la façon dont son appartement avait été refait, et qu'il voyait d'un mauvais œil les compliments qu'elle faisait.

Je n'ai pas la réponse à ses véritables motivations, mais j'ai détesté qu'il fasse allusion à la prêtrise ce jour-là. Il me la présentait comme une carotte destinée à faire passer la pilule d'une éviction ; comme un lot de consolation. J'ai pour la prêtrise un très grand respect. Ce n'est pas une chose dans laquelle je m'engagerais par moi-même et je n'allais certainement faire aucune concession sur ma manière de fonctionner pour garder une chance de devenir prêtre. C'était même plutôt un soulagement d'avoir alors la conviction que ce n'était pas ma place.

Le père a su dans l'heure qui suivait que je ne courais pas après ce genre de carotte et que lui devait arrêter de croire qu'il pouvait jouer avec. Malgré tout ce qu'il y avait de négatif à cette réunion, j'ai invité le père à venir manger à la maison le lendemain soir. C'était le repas décrit dans un repas arrosé.